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L’année 1679 fut fertile pour elle en événemens heureux. A la fin de juin, le Roi déclara le mariage de Mademoiselle, fille aînée de Monsieur et de sa première femme, avec Charles II d’Espagne, l’un des plus grands partis de l’Europe. Chacun savait que le bonheur n’habitait pas les palais espagnols ; mais c’était là de ces considérations bourgeoises qui n’entraient pas en ligne de compte pour les princesses, et Monsieur fut tout à la joie d’avoir à combiner plusieurs douzaines de robes pour le trousseau d’une Majesté. Madame n’était pas moins satisfaite, et par des raisons plus sérieuses. Elle avait une filleule, la princesse Sophie-Charlotte, fille de la duchesse Sophie, qu’elle rêvait de marier au Grand Dauphin, et elle avait cru s’apercevoir que Mademoiselle pourrait bien se trouver en travers de son projet. Le mariage d’Espagne déblayait le terrain.

En partie du moins. Deux gros obstacles séparaient encore Sophie-Charlotte du trône de France. L’un était la princesse bavaroise du traité de 1670 ; mais la nature avait l’air de se charger d’en débarrasser Madame : « On dit qu’elle est si effroyablement laide, qu’on ne peut pas croire qu’on en veuille[1]. » L’autre obstacle était l’âge de Sophie-Charlotte ; elle n’avait que dix ans, le Dauphin en avait dix-sept[2], et une grande hâte de se marier. La difficulté ne parut pourtant pas insurmontable, même à la duchesse Sophie, femme d’expérience, d’où une résolution dont Madame eut la tête tournée de joie, et à laquelle nous devons les tableaux les plus vivans que nous possédions, et les moins connus, sur la cour de Louis XIV pendant la maturité du monarque, après Mlle de La Vallière et avant Mme de Maintenon et Saint-Simon. La duchesse Sophie avait toujours désiré revoir Liselotte. Un vague espoir de faire prendre patience au Dauphin en lui montrant sa fille, qui était délicieuse, acheva de la résoudre à l’effort d’un voyage en France, et elle se mit en route le 1er août 1679 pour l’abbaye de Maubuisson, près Pontoise, dont l’abbesse était sa sœur, et où elle avait donné rendez-vous à Madame. Une lettre de cette dernière, reçue en chemin, avertit « Sa Dilection » que Liselotte s’attendait à « s’évanouir pour le moins de joie » en l’apercevant, et qu’elle aurait certainement eu « un coup de sang » si « Sa Dilection » était

  1. Lettres à la duchesse Sophie, du 5 juillet 1679.
  2. Sophie-Charlotte était née le 2 octobre 1668, le Grand Dauphin le 1er novembre 1661.