non, j’ai cru que Liselotte avait lieu de se croire fort heureuse. »
Quatre jours plus tard, elle apprenait que Charles-Louis s’était décidé à payer la dot de sa fille, et elle s’empressait de l’en féliciter : « (25 décembre.) Je… ne m’étonne pas que votre argent[1] ait été bienvenu auprès de Monsieur, frère du Roi, car l’argent comptant est aussi rare en France, ou plutôt dans ses coffres, qu’ailleurs. Je ne l’avais pas sollicité de sa part ; il ne m’en a parlé que pour me faire remarquer qu’il faisait tout pour Liselotte sans avoir eu un sol avec elle. Celle-ci appréhendait, comme j’étais avec elle, que Charlotte la vînt trouver pour subsister, et disait qu’il y avait des gens qui, par pitié, lui avaient offert de l’argent pour Madame sa mère, sachant bien qu’elle n’en avait point pour lui donner. Que voudriez-vous que Charlotte fît, dans le pitoyable état où elle est ? car à Cassel[2], elle n’a qu’à manger : on garde ses mille écus par an… Il ne saurait être agréable à ses enfans de la voir en cette nécessité, et cela leur donnera de la haine pour ceux[3] qu’ils croiront qui emportent ce que l’autre pourrait avoir… » Cette allusion à ses bâtards mit Charles-Louis hors de lui : « Je ne sais pourquoi Charlotte doit passer pour un si grand sujet de pitié… » Suivaient de longues récriminations. Il écrivit aussi à Liselotte, et la discussion tournait à l’aigre quand Charlotte y mit fin par un coup de théâtre : elle avait changé d’idée et renonçait à la France. Ni Charles-Louis, ni Monsieur, ne surent jamais pourquoi. La duchesse Sophie le sut au bout de trente ans, quand les autres étaient morts.
Le coup de théâtre avait été provoqué par une lettre de Madame, où celle-ci traçait à sa mère un tableau si décourageant des déboires et des avanies qui l’attendaient en France, que la pauvre femme avait jugé inutile de s’expatrier pour échanger un calvaire contre un autre. Personne n’avait eu vent de cette manœuvre sournoise, dont Liselotte ne se confessa à sa tante qu’en 1709 : «… Feu Monsieur était tout disposé à avoir ici Sa Grâce Madame ma mère ; mais moi, qui sais et qui vois comment les choses se passent ici, et combien de chagrins[4] feu Sa Grâce
- ↑ L’Électeur n’avait probablement envoyé qu’un acompte, car la quittance de la dot, signée de Monsieur et Madame et conservée aux Archives nationales (K. 542, no 14), porte la date du 24 novembre 1680. Il y avait alors trois mois que Charles-Louis était mort.
- ↑ A Cassel, c’est-à-dire dans sa famille.
- ↑ Les Raugraves, pour lesquels Charles-Louis avait toujours de l’argent.
- ↑ Les mots en italiques sont en français dans l’original.