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le roi Erik, le roi fou, follement énamouré d’une petite marchande de fruits et qui vogue à la dérive par une nuit de printemps. « Lentement des barques pavoisées glissent sur les ondes. Le Mœlar reflète les nuages rouges du soir. Les rames clapotent sous des airs de cors. La forêt de bouleaux embaume… Cors de chasse, taisez-vous !… Le roi Erik joue sur son luth… La petite Karine écoute en silence jusqu’à ce que de grandes larmes brillent dans ses yeux… « Petite Karine, le jeune roi te supplie. Sois à moi et tu posséderas le château de Stockholm. Dis un mot et la couronne d’or pâlira sur tes cheveux dorés. Je suis Erik, le roi des beaux rêves. Forgée de rayons de lune, la couronne n’est pas lourde. Ne pleure pas, mon enfant : tu auras le royaume. » Il fut féroce et sanguinaire ; mais l’amour, la mort, la folie, la nuit printanière se marient dans son chant ; et toute la pitié de la Suède pour le fils de Gösta Wasa, le poète la fait perler aux cils brillans de la petite Karine.

Le tableau change. Les cloches de Ardala sonnent la Pentecôte. Le front sombre comme une nuit de tempête, Charles IX galope sur son étalon de Holstein. Une armée de spectres, échappés de la roue, galopent autour de cet implacable justicier. Des châteaux, personne n’est sorti pour saluer le cortège ducal. Derrière les volets vacillent de hautes bougies dans les maisons muettes de la noblesse décimée. L’insomnie lui bat aux tempes. Il a jeté son filet contre le cours rapide du temps : ramènera-t-il une couronne ou seulement des têtes de mort ? Lacs, seigles verts, maisons rouges, sa Sudermanie s’étend au clair de lune. Il hume les parfums de son pays suédois qui, sous son épée nue, sommeille en confiance et en tranquillité. Et des pauvres lopins de terre, de tout ce que les humbles labourent, la brise du soir lui apporte la salutation et le merci : « Tu es notre homme, bien que tu aies du sang sur les mains. »

Et voici son fils, « ce petit qui saura adoucir même les morts, » Gustave-Adolphe. La gloire et la vie entrent à flots dans le cœur de la Suède. Il en ouvre le magnifique exode. Vision charmante, lorsqu’il passe à Augsbourg « au mois de mai des peuples. » « La vieille ville dormait comme une poésie de pierre, avec ses hauts pignons délicatement pointus, ses larges fenêtres étincelantes aux étroits carreaux, et ses ornemens gothiques gris de vieillesse. » Elle continue de dormir ainsi sous l’eau calme des mémoires suédoises. Dernière vision à