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jamais imprimée sur le voile de la mélancolie du Nord : « A Lutzen, au fond d’un ciel crépusculaire, des gouttes de brouillard sur la joue, je l’ai vu, image sanglante et tremblante, dans les plis du vent. »

La Suède est revenue d’Allemagne orgueilleuse de ses splendides pillages. De la pâle gerbe qu’on dressait jadis aux champs d’Upland, elle a fait le vase, la gerbe raide en broderie d’or qui tient aujourd’hui son rang parmi les aigles et les lys. La Pallas du Nord, la Vierge des Victoires, Christine se lève au-dessus d’un fourmillement de têtes. Les vieux régens du trône ont déposé dans ses mains douze années de prodiges et des trésors. Mais elle !…

« Près du pont jeté sur un mince ruisseau d’argent, là où est la frontière entre la Suède et les terres de la couronne danoise, à côté de la Rome peinte en jaune et en bleu, un groupe d’enfans attend. Leurs candides yeux bleus suédois brillent sous des cheveux de lin. Ils ont appris que la reine Christine passera bientôt ici, et ne croient pas possible qu’elle s’en aille à jamais. Pourquoi les quitterait-elle ? Son nom leur est précieux et cher. Une prière pour son bonheur fut la première chose que leur mère leur enseigna. Et l’an dernier, n’ont-ils pas porté, par amour d’elle, une tristesse bien lourde, lorsque le commissaire enrôla le frère aîné ? Et le père n’a-t-il pas, à cause des impôts, dû vendre une de ses vaches ? Les petits près du pont ne comprennent point qu’elle les quitte pour toujours. Toute la matinée ils ont cueilli des fleurs et des fraises rouges afin de montrer à la reine Christine combien elle est aimée. Ecoutez : un bruit route sur la pente de la colline. Un nuage de poussière s’élève. Autour du lourd carrosse doré, on entrevoit des chapeaux à plumes. De la voiture sortit un rire froid comme l’acier : une dame avec de sombres messieurs y parlait une langue étrangère. La voiture et les cavaliers disparurent bientôt sur la rive opposée. A un coup de fouet du cocher, les enfans ont laissé échapper le panier de leurs mains. Les fleurs exhalèrent dans la poussière de la route leurs derniers parfums. Les fraises rouges se répandirent comme des gouttes de sang. Ah ! reine Christine, reine Christine, les bras de la Suède se ferment, de la Suède où même le plus petit aurait donné son sang pour toi ! »

C’est maintenant Charles XII, autour duquel l’imagination suédoise a cristallisé tous ses rêves d’héroïsme et de désintéressement chevaleresque. Charles XI avait quitté son cheval de