point célébré ses ancêtres avec plus de fierté que ce paysan ; mais il n’y a peut-être pas mis tant de mâle tendresse. Mieux encore, Karlfeldt a trouvé les paroles des chansons muettes que ces hommes de labeur et de labour ont, durant des siècles et dans le silence de leur cœur, chantées au bruit des haches, derrière les charrues et les chariots. Par-delà le tombeau, il a libéré leurs âmes, qui furent toujours mal parlantes, de tout ce qu’elles gardaient en elles d’inexprimé : amour de la terre, des eaux jaillissantes, de la lumière sur les landes désertes, et des coups lents et réfléchis qui sonnent aux grandes pendules de Mora ; langueur savourée des jours d’attente ; apaisement des longs hivers où, l’oreiller bourré de fleurs de houblon, on dort du même sommeil que l’ours dans sa tanière. Avec quelle fraîcheur le rêve des morts n’a-t-il pas éclos sur les lèvres de ce vivant ! Sa poésie, nous dit-il, est tantôt d’un monsieur, tantôt d’un paysan, tantôt des deux ensemble. Homme de la nature parmi les citadins, homme de la ville parmi les campagnards, il souffre de ne plus savoir dans quelle classe il doit se compter. Je le compte au nombre des poètes les plus originaux de la Suède.
Il y a plus dalécarlien que Loksand ; c’est Floda. On ne saurait imaginer une province aussi diaprée d’usages et de coutumes que la Dalécarlie. D’une commune à l’autre, le dialecte, le vêtement, l’esprit changent. Du côté de l’Est, les natures sont plus joviales ; du côté de l’Ouest, plus assourdies et plus mélancoliques. Telle commune donnera dans les sectes ; telle autre penchera vers l’indifférence. Floda, loin du chemin de fer, loin de tout, ne fabrique point d’horloges comme Mora, ni de seaux de bois comme Efdalen, ni de pierres à aiguiser comme Orsa. Elle ne produit que du blé et des paysans riches, fiers, indépendans, solides de râble, durs de crâne, et qui se font enterrer très tard les mains dans leurs gros gants de mariage, tricotés de fleurs. Les femmes de Leksand auraient la tournure fine en comparaison des femmes de Floda. Mais, à la fonte des neiges, elles sortent de leur énorme chrysalide avec des tabliers et des fichus plus éclatans qu’un parterre de curé, et tout le printemps fait explosion sur leurs capelines multicolores. Floda ne compte pas une seule auberge. Quand le vétérinaire vient au bourg, le marguillier lui loue une chambre ; et, quand un étranger y tombe de