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ce monde… Il en pleurait ; je le crois bien : il parlait du Dernier Jugement ! Et tous nous pleurâmes en abondance, car la chair cuisait et l’âme était fortement pincée. Et, le service fini, les membres du Conseil se glissèrent hors de l’église, le des rond… Mais il est certain que nous reprîmes courage quand le pasteur s’éclaircit la voix et nous dit : « Veuillez passer aux tartines d’anchois et aux petits verres d’eau-de-vie. »

Le pasteur de Floda ne se reconnaîtrait pas dans le curé de Fröding ; et pourtant, si vous l’entendiez en chaire, vous comprendriez la pieuse terreur de ses ouailles et le dos arrondi des membres du Conseil. Il manie l’éloquence à la façon d’une cognée ; il a l’image tranchée et abrupte, la locution rude. Quand il commence son prêche par ces mots : « Moi qui vous parle, j’ai vu le diable, je le vois !… » et qu’il fixe ses yeux sur l’assemblée des fidèles, je vous prie de croire que pas un assistant n’est dispensé du frisson et que tous, descendant en eux-mêmes, y voient le diable qu’a vu leur pasteur : l’orgueil qui ne leur permet de rien devoir à personne ; l’amour avare de la terre, qui, l’an dernier, poussa l’un d’eux à se jeter dans le Dalelf, parce qu’il s’estimait frustré d’un lopin d’héritage ; l’envie qui fait qu’un des riches hommes de Floda est aujourd’hui bloqué dans sa propriété par les lentes et patientes acquisitions de ses voisins, au point qu’il n’en peut mettre le pied dehors sans leur consentement ; l’ivrognerie qui, domptée chez les vieux, reparaît chez les jeunes et que tous chôment encore le dimanche d’avant Noël ; et aussi la concupiscence, lorsque, à la Saint-Jean des vaches, époque de la récolte, tout le bourg redescend des chalets et que les femmes en beaux atours dansent sur le pont flottant.

Parfois, les jours de chaleur, il lui arrive de s’arrêter au milieu de son sermon. Sa large main se promène sur l’auditoire et désigne les tôles : « En voici un, dit-il d’une voix grave, deux, trois, quatre… » Une pause, puis un éclat : « Et tous, les voici tous qui dorment ! » Allez donc jouir d’un peu de sommeil au prêche d’un tel pasteur ! Sa parole vous réveille plus durement que le bâton de bambou, orné de clochettes, dont le bedeau jadis frappait la nuque des dormeurs. Mais il ne sort pas toujours son tonnerre et ses foudres. Son sermon s’accoude souvent à la chaire comme un ange de Jansson vêtu en campagnard. « Si nous causions aujourd’hui du socialisme ou du suffrage universel ? Qu’en pensez-vous ?… » Et, jamais effrayé