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des idées ou des mots, socialiste comme les vrais hommes de Dieu, il remue les cervelles de ses auditeurs et secoue sans pitié les gros sous terrés au fond des poches de cuir.

Il y a quelques années, le curé de Floda (pourquoi, Seigneur ? ) rêva d’une paroisse de Stockholm. Il y alla de toute son éloquence devant les paroissiens de la capitale qui devaient élire leur nouveau pasteur. Mais les gens de Stockholm n’admettent qu’un christianisme correct et très distingué. On renvoya ce paysan du Dalelf à son presbytère. L’heureux homme ! Il en domine le fleuve et la vallée ; ses fenêtres semblent s’ouvrir à la hauteur des collines violettes qui ferment l’horizon. Sur le chemin de son vieux domaine, il me souvient que les genévriers perçaient la neige de leurs bouquets verts et que, dans l’air jaune du soir, les grands bouleaux faisaient une allée vaporeuse. A peine eus-je franchi le seuil de la cour, des nuées d’oiseaux effarouchés tourbillonnèrent au-dessus de ma tête. Sous chaque croisée, une petite « hôtellerie » chargée de graines était suspendue. Entre le presbytère et ses dépendances, tous les arbres portaient, attachées à leurs branches, des gerbes de blé dont la chaude pâleur ressortait sur la neige. Je m’avançai, enveloppé de pépiemens et de bruits d’ailes. Le Pasteur et Mme la Pasteur, une petite dame qui sentait le linge parfumé de lavande, nie reçurent dans leur maison aux plafonds bas, mais largement hospitalière. Des oiseaux entrèrent avec moi. Et je ne pensai plus du tout au curé de Fröding. Le pasteur de Floda est autrement spirituel. Mais je reconnus la marque de son imagination dans l’amour qu’il a des excentricités de la nature. Les paysans, qui flattent son goût, lui apportent chaque jour des loupes d’arbre monstrueuses, des carapaces d’écorce, des racines lovées comme des serpens, des branches qui ressemblent à des squelettes de poisson. Et pendant qu’il caressait sous mes yeux ces curiosités apocalyptiques, des mésanges qui l’avaient aperçu, lui et sa femme, frappaient du bec aux vitres et demandaient qu’on leur ouvrît.

Journées de traîneau par les collines et les vallées suédoises, journées inoubliables. L’hiver du Nord qui, de loin, nous apparaît si sombre et si monotone, est parfois un des plus grands maîtres d’enchantemens. Sauf quand la tempête de neige sévit à travers les forêts, je ne sais rien de comparable à la beauté de sa lumière