Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 42.djvu/865

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’entouraient jadis d’une sombre ceinture ont été saccagés. Les collines, où l’on commence à réparer tant d’imprévoyance, se voilent d’un rideau transparent de fins bouleaux et de jeunes aulnes. Çà et là, sur un promontoire, un vieux manoir qui ressemble à un presbytère ; des forges près d’un torrent ; des termes rouges, où se posent les corneilles criardes qu’on appelle par ici des rossignols norvégiens. Mais le bourg de Sunné, sur les deux rives du lac resserré, avec son pont de pierre, ses magasins, leurs étalages de lumière au milieu des champs de neige, et son tintamarre de traîneaux et de rires, est un vrai bourg comme on n’en rencontre point en Dalécarlie et qui prouve du moins chez les Vermlandais un caractère plus sociable.

A mesure que nous avançons vers le Nord, la désolation du paysage s’accentue. Seuls points mouvans de la nature, les glaçons rampent et s’escaladent comme des bêtes de cristal et les canards sauvages rament dans l’air, le col immobile et tendu. Le pic du Gurlitta dresse son âpre blancheur. Les fermes s’espacent, prodigieusement isolées. Mais à l’extrémité du lac, au bourg de Torsby, l’auberge retentit d’un concert de voix qui chantent les forêts, les bien-aimées et les sons des cors.

Ouvrez Fröding. Laissez cette poésie, d’une admirable richesse, éclater dans le silence de l’hiver comme les chants des buveurs dans l’auberge de Torsby. Ecoutez-y bruire toute la vie vermlandaise. D’abord la vie des petites villes : les dames aux fenêtres, les bonnes aux coins des rues, quand piaffe le cheval du lieutenant ; le bal de l’Hôtel de Ville pour la fête du roi Oscar, où la vieille comtesse précède sa petite-fille, comme un vaisseau de guerre suivi d’un yacht de plaisance « tout en pavillons et en flammes de joie ; » la maison de prière, et le scandale ahurissant que vient d’y déchaîner le frère Andersson. «… C’était notre jeune Barnabé !… Nous l’avions marié à une veuve d’âge et d’expérience, une femme calme et grave profondément, qui montait la garde autour de lui et qui le suivait partout où il allait….. Précautions et prudence humaines ne sont que vanité, car, la paroisse doit déjà le savoir, frère Andersson s’est enfui cette nuit avec Fia Bergman en Amérique !… » Pasteurs, officiers, même les fonctionnaires, tous les originaux sont ici plus originaux et plus divertissans qu’ailleurs, car l’individualisme exaspéré du Vermland prête à la caricature.

Puis la vie des campagnes : riches paysans, serviteurs cassés