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trouverions une confirmation nouvelle dans le succès, toujours plus marqué, des romans et des contes de M. Mariott Watson.

Car M. Watson est à présent, comme Stevenson l’a été avant lui, le maître le plus parfait d’un genre essentiellement anglais, et dont la formation constitue, à coup sûr, l’un des phénomènes les plus curieux de l’histoire littéraire au siècle passé. Tandis, que chez nous, depuis Balzac et Flaubert, les « artistes » de la littérature se sont trouvés, en quelque sorte, forcés d’employer l’originalité et l’indépendance naturelles de leur tempérament à l’étude des seules passions de l’amour, les « artistes » du roman anglais ont dû se mettre en quête d’un autre terrain pour y dépenser à leur aise des qualités pareilles ; et, faute de pouvoir approfondir l’analyse des sentimens amoureux, plusieurs d’entre eux ont entièrement renoncé à l’étude de ces sentimens, de telle façon qu’il y a telles de leurs œuvres, et des plus personnelles et des plus fameuses, qui ne présentent pas l’ombre d’une intrigue galante, et parfois ne contiennent pas une seule figure de femme. Mais, de la même manière que leurs rivaux français affirmaient leur « différence » dans la singularité ou dans l’intensité des émotions « sexuelles » qu’ils évoquaient devant nous, ces écrivains anglais, — poussés dans une autre voie par un même besoin de nier, et peut-être aussi de braver, les principes le plus universellement admis autour d’eux, — ont concentré tout leur effort à s’élever au-dessus du code de la morale traditionnelle, en créant des figures d’une dépravation séduisante, des types de magnifiques ou délicieux coquins, qui, tantôt joignaient à leur profonde immoralité les allures délicates de gentlemen accomplis, et tantôt déployaient, au milieu de leurs entreprises les plus criminelles, d’inépuisables trésors de tendresse, de douceur, et d’abnégation.

Déjà Thackeray, dans la Foire aux Vanités et dans les Aventures de Philippe, s’était plu à dessiner des créatures vraiment belles à force d’impudence ou d’hypocrisie, d’inconscience ingénue ou de perversité ; et sa Rebecca Sharp, son Rowdy Croydon, le père de son Philippe, auraient de quoi être considérés déjà comme des modèles du genre nouveau, si Thackeray ne nous avait encore laissé voir qu’il détestait ces personnages, malgré tout le plaisir qu’il prenait à les imaginer. Après lui est venu Stevenson, qui, on peut bien le dire, n’a point fait autre chose