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« la dégradation du roman moderne » par ce qu’il appelait « l’école charnelle » (fleshly school of fiction). A l’en croire, l’unique moyen de faire fortune, pour un homme de lettres anglais, serait maintenant d’écrire « des histoires ignobles, joignant le cynisme à la cruauté. »

Mais le plus curieux est que ce genre du roman « charnel, » ou « sexualiste, » est pratiqué surtout par des demoiselles. De tous les romans que j’ai lus, aucun ne m’a plus effaré, par l’audace imperturbable de son naturalisme, qu’un gros livre où la femme d’un pasteur de village ne s’arrête point de passer d’un amant à l’autre, avec une inconscience et une effronterie singulières, tandis qu’autour d’elle, les servantes, les voisines, le village entier étale à nos yeux les aspects les plus variés de l’animalité. Le roman était signé d’un nom de famille que précédait seulement l’initiale M, sans doute un prénom ; et je me représentais l’auteur comme un clubman d’âge et d’expérience, se divertissant à vexer la pudibonderie de ses concitoyens. Je me trompais. En feuilletant, l’autre jour, une revue illustrée, j’ai découvert le portrait de l’intrépide « sexualiste : » c’est une aimable jeune fille aux cheveux bouclés, souriante et un peu rêveuse, avec une petite croix d’or suspendue à son cou ; et l’initiale qui précède son nom est pour signifier Marguerite !


Ainsi les « convenances » ont dorénavant cessé d’exercer aucune contrainte sur le roman anglais, et il n’y a plus un seul domaine de la réalité ou du rêve qui ne soit largement ouvert au jeune romancier. Mais tout porte à espérer que les heureux effets subsisteront longtemps encore, qu’a produits autrefois l’interdiction de s’occuper de certains sujets, et que le roman d’outre-Manche conservera, notamment, cette variété qui est l’un de ses mérites les plus évidens et les plus précieux. Longtemps encore, quoi qu’en dise le pessimiste rédacteur du Bookman, le public anglais fera bon accueil à des œuvres qui non seulement « traiteront d’autre chose que de la différence des sexes, » mais qui même n’accorderont nulle place à l’amour, dans leur intrigue, sans être pour cela moins « romanesques, » ni moins littéraires, ni même moins libres et moins audacieuses au point de vue moral. Et si cet espoir ne nous était pas assez nettement confirmé par la persistance de la vogue de Robert Stevenson, — le moins « sexualiste, » assurément, des romanciers anglais, — nous en