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personnages que les paysages qui les encadrent. La plupart nous transportent vers la Touraine ou vers le Poitou, dans ces vallées délicieuses aux rivières d’une courbe pleine de grâce. Quelques-uns semblent empruntés à une nature plus tourmentée et font penser aux régions du massif central de la France, qui constituaient ou avoisinaient les comtés et vicomtes de la Marche, de Carlat, de Murat et de Castres, domaines personnels de ce Jacques d’Armagnac duc de Nemours, pour qui Foucquet a peint ses miniatures. Le plein air dont on a tant parlé, il est déjà là tout entier, indiqué discrètement avec un sentiment des valeurs qui tient presque du prodige. C’est ce qui atteste la supériorité de Foucquet sur la plupart des peintres du XVe siècle ses contemporains, des maîtres qui savaient également dérouler derrière leurs figures principales des paysages étendus ; et elle n’a jamais été plus marquée que dans ces compositions du Josèphe, où il apparaît avec quelque chose de plus qu’eux, l’intuition de l’atmosphère, de cette lumière si fine, si exquise dans ses demi-teintes, qui, en enveloppant l’horizon d’une brume légère, donne aux aspects de la nature française un charme infini et fait du bon peintre de Louis XI un précurseur. Ses miniatures, — où revit la France des premiers Valois, de la fin du XIVe siècle et du commencement du XVe siècle, — constituent un document d’une valeur exceptionnelle pour l’histoire de l’art français.

Après l’avoir suivi depuis les origines, — avant les statuts de 1391, — chez les célèbres miniaturistes parisiens Jehan Pucelle, Jacquet, Macry et Anseau de Sens, chez Grotto, chez Girart d’Orléans, qui exécutait, pour le roi Jean, des cartons que d’autres grandissaient contre les murailles, et avoir étudié, avec M. Durrieu, la seconde période gothique, celle qui nous a valu Foucquet, comme aussi le maître de Moulins et les illustres Avignonnais, quel n’est pas l’intérêt de comparer l’œuvre du peintre de Tours à celle qu’exécutait à la même époque le maître de Nuremberg, Albert Durer[1], peintre, graveur, aquafortiste, illustrateur d’objets d’art, chez qui l’imagination singulièrement féconde et le rêve fantastique s’allient à l’observation rigoureuse de la réalité, qui fut amoureux à la fois d’idéal et de réalité, dont les portraits, si vivans et d’un coloris plein d’éclat, sont admirables d’expression, — l’un des artistes les mieux doués et les plus complets, et qui, dans toutes les branches de l’art, fut et restera la plus parfaite incarnation du génie allemand, de l’âme pensive et mystique du Nord ? Une

  1. Hachette.