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gouvernement n’a voté qu’une ; puis il a battu en retraite, laissant bravement la défense nationale se tirer d’affaire comme elle pourrait.

Une pareille désertion est inqualifiable. S’il y avait une circonstance où le gouvernement aurait dû jouer son existence, à coup sûr c’était celle-là. Mais il avait fait prudemment ses pointages, et il avait reconnu que, même en jetant ses portefeuilles dans la balance parlementaire, il ne la ferait peut-être pas pencher du bon côté. Dès lors, son parti a été pris ; il ne veut pas mourir encore ; il a laissé la Chambre voter comme elle voudrait. S’il ne l’a pas fait cette fois, on se demande quand il pourra bien poser la question de confiance. Il le fera lorsque, après avoir achevé ses calculs de prévision, il sera sûr d’avance d’avoir la majorité. On annonce, par exemple, qu’il prendra la plus ferme attitude au Sénat à l’occasion du rachat du chemin de fer de l’Ouest. Voilà, en effet, une affaire qui en vaut la peine, et où on s’explique qu’il s’expose à mourir sur la brèche plutôt que de céder ! La question est au niveau de son courage. Le pays ne la comprend même pas. C’est essentiellement une querelle entre politiciens, et on peut être sûr que, quelle qu’en soit la solution, le paysan, au fond de nos campagnes, y restera indifférent. Les résultats ne s’apercevront que plus tard, à l’épreuve. Aussi le gouvernement ne s’attend-il à rencontrer au Sénat qu’une faible résistance, et s’apprête-t-il à faire, pour la vaincre, un merveilleux étalage de résolution, de volonté, d’autorité. On le reconnaît bien là ! Nous aurions préféré qu’il n’accumulât pas de si grandes réserves de vaillance, et qu’il en dépensât quelque peu pour la défense de notre armée.

M. le ministre de la Guerre a d’ailleurs singulièrement affaibli sa thèse par la manière dont il l’a posée et soutenue. Il éprouvait quelque embarras au souvenir d’articles de journaux qu’il a écrits pendant l’interruption de sa carrière militaire, articles dans lesquels il acceptait la diminution de durée des périodes d’instruction pour le moment où, la loi nouvelle ayant produit tous ses effets, chaque homme aurait passé deux ans sous les drapeaux. M. le général Picquart n’en est pas encore arrivé à la désinvolture de M. Clemenceau, qui n’hésite pas à dire : — Eh bien ! quoi ? j’étais dans l’opposition, je suis au gouvernement ; j’étais d’un côté de la barricade, je suis maintenant de l’autre : est-ce que vous vous attendriez par hasard à trouver en moi le même homme ? — M. le général Picquart se tient pour un peu plus lié par son passé. Après le vote de la Chambre, désireux de faire des concessions à la volonté parlementaire, il a élaboré un projet de loi en vertu duquel, en attendant que la loi nouvelle batte son