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gouvernement allemand, la menace même non dissimulée d’une guerre continentale, ont dissipé toutes ces combinaisons. Une partie de l’opinion publique en France espère toujours qu’on pourra les faire revivre, que quelque circonstance favorable permettra de reprendre, avec quelques atténuations peut-être et moyennant certaines concessions à l’Allemagne sur un autre théâtre, le grand projet abandonné.

Nous nous proposons ici de rechercher, non pas si cet espoir peut être fondé ou s’il est vain, mais si la France aurait un intérêt réel à prendre, sous une forme ou sous une autre, la responsabilité effective du Maroc ; si, au cas où il serait possible, non pas certes seulement de gagner ce pays à notre influence morale, ce qui évidemment serait un bien, mais de le soumettre à notre suzeraineté politiquement établie et reconnue, nous aurions avantage à le tenter. Nous voulons aussi examiner le parti que la France pourrait tirer des arrangemens d’Algésiras de façon que le Maroc, sans devenir un satellite de l’Algérie, ni un pendant à la Tunisie, offrît un débouché à notre activité et cessât de faire obstacle à notre légitime expansion dans le reste de l’Afrique du Nord et dans l’Afrique du Centre. Pour faciliter cette étude, il nous paraît utile de jeter préalablement un coup d’œil rapide sur l’œuvre de la France en Algérie depuis 1830 et sur son œuvre en Tunisie depuis 1881.


I

Nous n’avons pas à retracer les étapes de la prise de possession de l’Algérie. Elles ont été décrites ici avec talent par un écrivain qui excellait dans l’histoire militaire, M. Camille Roussel. La conquête ne dura pas moins de dix-sept ans, du 14 juin 1830, jour du débarquement de nos troupes à Sidi Ferruch, au 23 décembre 1847, jour où Abd-el-Kader se rendit au général de Lamoricière. Encore doit-on dire que, à très peu de distance d’Alger, la Kabylie, contrée montagneuse, restait insoumise, et quelle ne fut conquise qu’à la suite d’une expédition au cours de l’automne et de l’hiver des années 1856 et 1857. Dans cette lutte épique, sur un théâtre jusque-là inconnu des Européens, la France, au milieu de nombreux succès et d’épisodes héroïques, connut des revers, dont un éclatant : l’échec de la première expédition contre Constantine en 1836.