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constituer colonie française. Aujourd’hui, on dit couramment que la France et le Maroc ont une frontière commune de 1 200 kilomètres. Mais si l’on en croyait les Marocains, cette communauté de frontière serait beaucoup plus étendue, puisqu’ils ont des prétentions sur l’Adrar et la Mauritanie, jusqu’aux environs du Niger. En fait, nous trouvons en face de nous l’influence marocaine dans tout le Sahara de l’Ouest, et jusque dans le Nord de notre colonie de l’Afrique occidentale ; des commerçans et des sujets marocains se rencontrent et surtout se rencontraient naguère même au Sud du Niger et du Sénégal. Si l’on ajoute que, comme chérif, le sultan du Maroc jouit d’un prestige religieux chez tous les musulmans, blancs et noirs, de cette immense région, on comprend que la France, qui, au prix de tant d’efforts et de sacrifices, depuis trois quarts de siècle, a acquis la souveraineté de la plus grande partie de ces contrées et cherche, avec succès, à les initier à la civilisation moderne, surveille avec l’attention la plus vigilante tous les événemens, tous les incidens même dont le Maroc est le théâtre.

On conçoit même qu’une partie de l’opinion publique française et que des hommes d’Etat français se soient laissé séduire à l’idée que le Maroc devait, sous une forme ou sous une autre, devenir un pays subordonné à la France. Les uns, les plus téméraires, rêvaient d’une conquête qui eût mis le Maroc complètement en nos mains et l’eût soumis à un régime peu différent de celui de l’Algérie. Les autres, plus informés des difficultés inextricables d’une pareille tâche, ne pensaient qu’à établir la France au Maroc dans des conditions assez analogues à celles où l’Angleterre est en Égypte. C’était là encore une bien grande ambition. M. Delcassé paraît l’avoir eue et il mit, on en doit convenir, une grande persévérance, un rare esprit de suite à réaliser cette conception. Nous n’avons pas le dessein de retracer, même sommairement, les négociations diplomatiques auxquelles donna lieu ce grand et long projet ; cette tâche a été déjà ici en partie remplie ; peu s’en fallut, semble-t-il, moyennant la reconnaissance d’une sphère d’influence à l’Espagne, que le but ne finît par être diplomatiquement atteint ; il eût été nécessaire ensuite de mettre les faits en concordance avec les accords diplomatiques, et c’est ici que d’énormes difficultés auraient apparu. Quoi qu’il en soit, le débarquement et le discours de l’Empereur allemand à Tanger au printemps de 1905, les objurgations hautaines du