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sous la blouse comme sous la redingote ou l’habit noir. On croit chez nous à ces démarcations ; on y croit en haut, naturellement, et l’on s’en flatte ; mais, ce qui est plus grave, on y croit en bas et l’on enrage.

En Amérique, on n’y croit ni en haut, ni en bas. Tout homme est fermement convaincu d’être l’égal de tous les autres ; c’est un grand bonheur et une grande force pour la nation. Il existe bien à New-York un groupe fashionable, les « four hundred, » les 400, comme disent les journaux, bien qu’il se compose de plus de 400 personnes et mêmes de 400 familles, qui, l’hiver, dînent et dansent de la trentième à la quatre-vingt-dixième rue, à l’Est et à l’Ouest de la cinquième avenue, qui se retrouveront en août et septembre à Lenox (Massachusetts) et surtout à New-Port, la station balnéaire unique sur le globe, pour y nager, pêcher, jouer au gulf, faire des parties de coach ou de yacht, jusqu’au concours hippique de novembre, où chacun rentre en ville pour l’ouverture de la saison d’Opéra.

Ce monde charmant et choisi, que maints étrangers ont décrit avec une sympathique abondance, n’est qu’une portion infime et la moins représentative de l’Amérique. Elle est le point de mire de certains « nouveaux riches » qui, ayant de tout, sauf des relations, commencent par se rendre en Europe pour lier connaissance, à la faveur des villégiatures d’hiver ou d’été, avec de distingués compatriotes qui ne les recevraient pas à New-York ; à l’exemple des Anglais qui viennent prospecter à Cannes des amis qui les introduiront dans la société de Londres. Une fois adoptés par la coterie élégante, ils pourront briguer l’achat d’un « estate » à New-Port. New-Port est en effet moralement interdit aux intrus. Quoique aucune loi de la république ne défende l’accès de ce point du littoral au reste de la population américaine, il est d’usage de ne louer une villa dans Belle vue ou Narragansett avenues que lorsqu’on est assuré d’être admis à frayer avec l’élite mondaine qui y règne sans partage.

Mais, sauf cette innocente prérogative d’exclusivisme, rien ne distingue socialement, dans le car électrique, votre voisin de banquette, un peu fripé ou minable, des dames en toilette de soirée qui prennent place vis-à-vis de lui, et le maçon, qui empile fiévreusement les briques sur son mur, regarde sans fiel l’homme d’affaires qui se rend à son « office « en automobile. La fortune n’est pas capable à elle seule de créer des classes dans