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Railway, semblable à un échafaudage provisoire destiné à disparaître demain, bien qu’établi là depuis trente ans. Dans cette métropole commerciale, dans cette place d’affaires où se brassent les capitaux de tout un monde, on s’attend à voir la Bourse logée en quelque palais superbe ; erreur, la façade étriquée de ce puissant Stock-Exchange rappelle simplement les trois colonnes du théâtre des Variétés, à Paris, rangées le long du trottoir. Et les critiques que l’on peut faire à New-York s’appliquent aux autres villes des États-Unis, toutes identiques, bâties sur le même patron, où nul n’a été préposé au soin de la « Beauté, » parce que personne n’était choqué de son absence.

Les Américains pourront nous répondre que, si la beauté vaut quelque chose, la bonté vaut plus encore ; que c’est par la bonté, et non par la beauté, que le monde marche et que les Etats-Unis sont très riches en bonté, dont témoignent cent œuvres philanthropiques et mille bâtimens charitables. D’ailleurs, cette absence de goût qui déroute le voyageur n’a rien d’irrémédiable. Le goût peut venir à ceux qui en manquent, comme il peut se dépraver chez ceux qui en ont. Il y a eu des époques où l’on a constaté dans tout un pays une éclipse passagère du goût, et il y a eu des peuples qui, après avoir été les oracles du goût et les propagateurs de l’art chez les autres, — témoin la Grèce antique, l’Arabie des Kalifes et l’Italie de la Renaissance, — le virent ensuite périr chez eux.

On peut craindre que la France actuelle ne soit menacée du même sort, à voir l’abandon récent par la municipalité parisienne des règles qui contenaient les maisons privées dans des limites harmonieuses, les maçonneries nouvelles de huit étages, dont les unes obtiennent, pour un vil gain de lucre, de rompre la symétrie de la rue de Rivoli, tandis que d’autres se sont fait octroyer un débordement de plus de deux pieds sur l’avenue des Champs-Elysées. Fasse le ciel qu’il se trouve quelques plumes hardies capables de seringuer un peu de bonne encre sur les façades hospitalières ou musicales dont Bouvard et Pécuchet, pour des motifs insondables, s’apprêtent à nous doter encore !


VI

S’il est un terrain où les Américains gagneraient à devenir un peu plus Français, il en est un autre où les Français gagneraient