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leurs concitoyens protestans : « Nous n’avons pas de pardon à demander, me dit un curé, nous sommes chez nous ; il y avait un tiers de catholiques dans l’armée de Washington, et New-York est aujourd’hui la troisième ville catholique du monde, au point de vue de la population pratiquante. » En effet, les catholiques de là-bas le sont plus effectivement que ceux d’Europe, et leur ferveur se manifeste de façon palpable. Il faut voir les quêtes aux jours de fêtes, même en des cités médiocres de l’Ouest : les dollars en papier tombent silencieux sur les plateaux, des enveloppes closes dissimulent les offrandes dont le donateur ne veut point tirer vanité, et le « denier de la veuve » est d’argent et d’or.

Les Jésuites, qui réussirent en France au XVIIe siècle en modernisant, en laïcisant l’enseignement, en chassant des programmes la théologie, en rognant la part du grec et de la philosophie d’Aristote, qu’ils remplacèrent par l’histoire, les sciences exactes, les arts d’agrément et les ballets qu’ils composaient pour leurs élèves, appliquent au XXe siècle, dans le Nouveau-Monde, des méthodes analogues à celles qui leur valurent la faveur des bourgeois du temps de Louis XIV. Ils donnent aux jeunes Américains de toute religion qui leur sont confiés l’éducation appropriée à leurs besoins, développent la mécanique, la chimie, la physique ; dans les districts miniers le traitement et l’affinage des métaux précieux occupent une bonne partie de leurs classes. Et, pour ce motif ou pour d’autres, on constate avec surprise que le « jésuite, » cet homme ténébreux et mystérieux des romans-feuilletons de notre belle France, n’est point du tout impopulaire aux Etats-Unis.

Il serait pourtant, au regard d’Eugène Sue, de l’espèce la plus dangereuse : « jésuite de robe courte, » au sens propre du mot, puisqu’il est ganté de daim jaune, vêtu d’une jaquette et coiffé d’un melon. Mais l’usage du lieu le veut ainsi : nous sommes dans un pays sans cérémonie, où le Président de la République, chaque jour de beau temps, fait en manches de chemise sa partie de lawn-tennis avec l’ambassadeur de France, le sympathique M. Jusserand, sans que le protocole y voie rien à redire. Il n’apparaît pas que ce sans-façon affaiblisse ou diminue les vraies et naturelles grandeurs.

De toutes les Eminences de la terre, de tous les membres vivans du Sacré-Collège, en y comprenant même les plus galonnés