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sculpteur, devenu le copiste des laïques, une supériorité écrasante. Le peintre-sellier qui s’est formé de toutes pièces, qui a péniblement créé des thèmes nouveaux, reconstitué une esthétique, renouvelé une technique, est le plus dédaigné des hommes de métier. Dans l’échoppe, où il habite, où le jour pénètre chichement, pas un clerc de l’Université ne se risquerait à l’interroger. On achète en passant la petite œuvre peinte sur bois d’Irlande, — c’est-à-dire sur chêne préparé d’une certaine manière, — comme on prend aujourd’hui une carte postale à la devanture d’un magasin. Les plus célèbres, ceux qui ont la réputation, celui qui travaille pour le Roi ou les grands de la terre, reçoivent des commandes ; ce sera peut-être le cas de ce Nicolas dont nous avons parlé déjà, de Jean Pirion, de quelques autres, dont la taxe d’impôt nous révèle l’influence et le succès. Les autres, qui n’ont ni moins de talent ni moins d’habileté peut-être, en sont réduits aux hasards de la demande fortuite. Encore ne vendent-ils guère de ce que nous appellerions des tableaux séparés ; ils écoulent plus facilement le petit coffre historié de scènes, l’escabeau peint de couleurs voyantes, le tabernacle doré. Les plus heureux gagnent à ce métier quelques sous par semaine, par an quelques livres ; ils s’en contentent, et nous allons expliquer qu’ils le peuvent.

Sur ces questions de finance, comme sur tout ce qui touche aux gens d’autrefois, nous raisonnons avec nos idées modernes. Lorsque nous voyons un artisan du XIIIe ou du XIVe siècle, un journalier, s’engager pour deux sous, nous nous prenons de pitié. Le peintre-sellier établi qui paie douze sous de taille nous paraît un miséreux, condamné à une existence de privations et de sacrifices. Cela n’est pas. Le sou tournois, qui a été conservé dans le shelling anglais, vaut au moins vingt-cinq sous d’aujourd’hui, et comme puissance, bien plus du triple. Ce qui revient à dire que le valet de peintre qui recevait deux sous pour sa journée, pouvait, en réalité, faire, avec cette somme qui nous paraît dérisoire, ce qu’un manouvrier de notre époque ferait avec sept francs, et environ vingt jours de travail par mois, car les fêtes chômées sont nombreuses. Le maître patron tenant boutique peut être plus gêné, car il paie un loyer de cent sous l’an, une taille de dix à trente sous en moyenne. S’il a un ouvrier fait, c’est deux ou trois sous par jour, une chambrière, trente sous à l’année ; — et chose heureuse pour lui ! celle ci ne peut lui demander