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Car déjà l’ambition des artisans de luxe est de recevoir un salaire officiel, de tenir à l’État par le plus petit lien. Avant que les peintres-selliers, ou les peintres imagiers-sculpteurs, aient assez grandi, pour s’élever jusqu’au salaire officiel de quatre ou de six sous par jour, ils auront chez nous plus décent ans d’existence reconnue. Encore sous le règne de Philippe le Bel, quand Étienne d’Auxerre, l’un des plus renommés, est envoyé à Rome pour les besognes du Roi, il n’est pas en titre d’office ; jamais on ne le dit peintre royal. Il reçoit cent livres pour remplir sa mission. Mais s’il a été choisi, ce n’est nullement comme appartenant à la maison royale ; on l’a jugé le plus apte, voilà tout. Nous pouvons le croire jeune encore, car il a, dans les listes de corporations, une situation financière bien inférieure à celle de cinq ou six de ses confrères.

À partir de cette époque, c’est-à-dire vers 1296. ou 1298, nous voyons tout à coup les peintres-selliers ou imagiers prendre de l’importance. Comme les enlumineurs, ils fondent des maisons qui se transmettent de père à fils ou de beau-père à gendre. Leur pratique n’a pas la tournure bornée et restrictive de nos techniques modernes. Ils sont tous plus ou moins de petits Léonard de Vinci, dessinateurs, tailleurs de sceaux, sculpteurs sur bois, inventeurs de scènes pour enlumineurs, ou calligraphes. Il nous est permis de suivre la descendance d’un certain Jehan d’Orléans, peintre-sellier, contemporain de saint Louis, jusqu’après le règne de Charles VI. Et cet atelier compte des imagiers, des selliers, jusqu’en 1391, quand l’un d’eux, également nommé Jean d’Orléans, obtiendra l’autonomie définitive des peintres et leur séparation d’avec les selliers proprement dits. Tout récemment, mon confrère Henri Martin, conservateur à la bibliothèque de l’Arsenal, indiquait la persistance d’un atelier d’enlumineur, — celui d’Honoré, auteur du Bréviaire de Philippe le Bel, — qui serait passé à son gendre, un sieur de Verdun, et, de Verdun, aux célèbres miniaturistes parisiens Jehan Pucelle, Jaquet Macry et Anseau de Sens. Une particularité assignait à ces races d’artisans une pérennité singulière, c’était le mariage entre gens de métiers concurrens. Les peintres, les enlumineurs, les calligraphes, les sculpteurs, les orfèvres s’alliaient entre eux, et lorsque nous pouvons, à la fin du XIVe siècle, découvrir un brodeur-tapissier de premier ordre, Nicolas Bataille, nous voyons que sa femme est une Verdun, petite-fille, ou