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cache jalousement. Naturellement il est au plus mal avec l’équipe de Jacquemart de Hesdin. Un jour, il s’avise qu’on a cherché à forcer sa boîte aux secrets ; il ne doute pas que le coup ne vienne de son concurrent, et sans grande réflexion, il accuse Godefroy, l’un des valets de Jacquemart, d’être l’auteur du délit. Courroucé, celui-ci lui donne un soufflet retentissant. Perrot Garnier, qui assiste à la scène, se rue sur l’agresseur, et lui veut porter un méchant coup. L’autre tire son épée et la lui plonge dans le ventre. « Allons-nous-en, dit tranquillement Jacquemart de Hesdin ; il en a assez ! »

Voilà qui nous montre péremptoirement à quelles gens nous avons affaire. Nul doute que, dans l’émeute des Maillotins, des gaillards de cette trempe n’aient violemment pris parti. D’ailleurs, ainsi que de nos jours encore, certains ouvriers de luxe mettent leur gloire à discourir, à fanfaronner, nous devinons par de multiples exemples que les peintres parisiens ont une gloriole particulière. Je ne parle naturellement ni de Jean d’Orléans, ni d’Etienne Lenglier, ni de Colard de Laon, qui sont attachés au Roi ou aux princes, et vivent dans l’aristocratie du métier : ceux-là n’auraient rien à gagner s’ils brisaient une porte d’église ou pillaient un Juif ; mais il y en avait d’autres, les valets, les apprentis surtout, et ceux-là avaient de bonnes raisons à se produire, sans compter que les jalousies existaient déjà entre patrons et employés, et que les valets de Jean d’Orléans, qui voyaient payer 383 livres un tableau sorti de ses mains (c’est-à-dire tout près de 20 000 francs), opposaient ce gain énorme à la modicité de leur solde quotidienne. Une lettre de l’émission excuse l’acte d’un « maistre » rostisseur qui, ayant été traité de « lourdaud ventru » par « un valet, » lui asséna « d’un baston en la teste dont il morut. » Or le valet reprochait au maître de se faire des « trippes » à ses despens !

Christine de Pisan, qui n’a aucune raison patriotique de considérer ces artisans comme exceptionnels en tout, et qui s’est servie de peintres pour l’illustration de ses ouvrages, proclame les ouvriers parisiens « les souverains du monde en la science de peintrerie. » Elle revient plusieurs fois sur cette affirmation. Elle dit dans son livre le Corps de Policie, cité par M. Henri Martin, « que de ces gens de mestier de tous ouvraiges [il y] a de moult soubtilz à Paris, croy-je plus que si communément n’a ailleurs, qui moult est belle et notable chose. » On le voit elle