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de tous les temps est rebelle aux usages et aux langages exotiques, et que l’idée, pour un garçon de dix à douze ans, de voyager en Flandre, pour y faire son apprentissage, est contraire à tout ce que nous savons. D’ailleurs, a-t-on trace du passage d’apprentis français dans les ghildes néerlandaises ? Le contraire avait été vrai, au XIVe siècle, quand les Flamands venaient chercher à Paris la consécration qui leur était indispensable, et finissaient par y rester. Il s’ensuit que les prétendues influences flamandes aperçues chez nos artistes de Bourges, de Tours ou d’Avignon au XVe siècle, sont en réalité les traditions françaises du XIVe siècle, importées dans les Flandres, et tout bonnement conservées chez nous. Jamais je ne pourrai admettre que Jean Fouquet ait subi la loi des van Eyck ; les connut-il seulement ? Et ses succès de jeunesse à la Cour papale, les louanges dont on le grise, ne lui avaient-ils pas donné une assez haute idée de lui-même pour qu’il dédaignât des pratiques un peu vieillies déjà ? Quant aux procédés, il les tenait des peintres du Duc de Berry, contemporains de Jacques Cône, le véritable inventeur, si inventeur il y eut, ce qui n’est point prouvé.

En dépit du malaise général, la condition sociale des peintres s’est un peu haussée. Le temps est loin où un artiste habile tenait le rang d’un rôtisseur. Les nôtres bénéficient d’une civilisation nouvelle, d’un état d’esprit qui se produit en Flandre et en Italie. L’imagier comme Jean Fouquet peut rester un homme très modeste, presque un paysan, puisqu’il cultive ses vignes et ses jardins ; mais ses concitoyens ne le tiennent plus pour un modeste gratte-deniers. À la fois modeleur, imprésario de fêtes, peintre en décoration et en histoires, portraitiste hors ligne, on compte avec lui et on le ménage. Son instruction s’est élevée dans ses voyages ; il a vu et retenu ; il a approché du pape Eugène IV et l’a portraituré au milieu de ses cardinaux ; ce n’est donc plus un artisan banal. Sans doute on le voit, aux jours ordinaires, simplement vêtu, assis devant sa porte, dans la rue qu’il habite à Tours ; on le retrouve avec sa mine futée de paysan, habillé comme un bourgeois aux prônes du dimanche ; on sait qu’il gagne beaucoup, que sa vie est large, que ses apprentis, y compris ses deux fils, sont bien tenus et lui font honneur. Mais il tiendra la queue de la poêle, si la ménagère est occupée, et il balayera l’hostel si besoin est. Aucun de ces maîtres ne connaît