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encore le sentiment d’une supériorité intellectuelle ; il semblerait que, plus leur talent s’impose, plus ils demeurent simples et candides. Ils apportent dans leur art les ressources, les imaginations naïves de bergers industrieux, et peut-être sont-ils les plus étonnés, lorsqu’un étranger, comme Florio, venu chez eux, les proclame les plus glorieux maîtres de tous les temps et de tous les pays. Ce qui les touche réellement, c’est l’exemption de l’impôt, la décharge du guet, l’augmentation du pécule. Imaginez qu’un devin leur eût prédit les fortunes de leurs descendans, qu’il leur eût décrit le luxe d’un Rubens, la puissance d’un Lebrun, les hôtels, les carrosses, la valetaille de quelques-uns des nôtres, ils eussent haussé les épaules et taxé le prophète de fol à lier.

Il est impossible de mieux discerner que dans le centre avignonnais la distance qui sépare leur mérite de leur existence bornée et modeste. L’ancienne ville papale avait conservé au XVe siècle le souvenir de sa splendeur passée. Les abbayes, les églises, les particuliers s’étaient autrefois laissé entraîner à leur passion pour l’art ; et quand, sous ce rapport, Paris avait décliné, quand les Flandres avaient pris le pas sur lui, la région du Rhône, restée dans la tradition, avait paru aux artistes la terre promise. Dès les commencemens du XVe siècle, on surprend des peintres établis dans la contrée, qui vivent de leur métier, et ne sont point cependant les descendans directs des gens du siècle précédent, ni les continuateurs de Simone Memmi. On sent que ces mêmes hommes eussent gagné Paris, si Paris fût restée la capitale esthétique du Nord. Mais les temps étaient changés. Par l’Auvergne, la Touraine ou l’Anjou, — la Provence dépend des princes Valois de cette maison, — la tradition artistique française s’infiltre dans le pays. Les ouvriers du Duc de Berry avaient travaillé à Riom, à Clermont-Ferrand : leur influence gagna le bassin du Rhône. Quand les van Eyck triomphent à Gand et à Bruges, un Bourguignon, natif de Saône-et-Loire, est installé à Avignon. Il y trouve établi et recherché un certain Bertrand de La Barre ; lui-même se nomme Guillaume Dombet.

Grâce aux travaux de M. l’abbé Requin sur l’école d’Avignon au XVe siècle, nous pénétrons la vie sociale de ces peintres. Nous savons d’où ils viennent, comment ils établissent leur atelier, dans quel monde ils se marient. Nous les voyons traiter les entreprises de peinture comme les vieux Parisiens de cent ans