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Chosen dut désormais reconnaître la suzeraineté chinoise par l’envoi d’une ambassade solennelle. En échange de ses cadeaux précieux, le calendrier officiel, destiné à tous les vassaux, lui était transmis. Grâce à cette hégémonie du gouvernement de Pékin, la Corée, ne disposant d’aucune armée sérieuse, ne pouvait s’aventurer dans des guerres extérieures. Comme les autres pays dépendant de la Chine, l’Annam, la Birmanie, le Thibet, la Corée dut n’entretenir aucune relation avec le reste du monde, se cloîtrer rigidement chez elle : ainsi fut constituée autour de la Grande Muraille une immense zone neutre amortissant, pour le compte de l’Empire, les révolutions du dehors ; ainsi, sous le règne des grands Khans, des siècles de paix furent-ils possibles.

Depuis plus de trois cents ans, la Corée ignore la guerre, ne possède ni armes, ni soldats. Aux occasions solennelles, les quelques hommes formant la garde du palais n’étaient armés que d’arcs. Consciente de son impuissance, la nation s’en est plus sévèrement repliée sur elle-même. La moindre chaloupe de pêcheurs abordant le rivage fut impitoyablement saccagée et le sang des audacieux cruellement répandu. D’autre part, soucieuse de conserver vis-à-vis du suzerain une certaine indépendance, le peuple coréen a pris le pli d’étaler sans cesse sa misère. Ainsi s’expliquent les lois condamnant tous les dehors du luxe et du bien-être, faisant défense d’exploiter les mines d’or et d’argent. La consigne a toujours été d’être, ou bien de paraître pauvre ; l’obéissance a été parfaite. Jamais, au cours de mes nombreux voyages, je n’ai rencontré de pays aussi misérable, je n’ai vécu parmi peuple plus dénué. Aussi mon souvenir de Chosen et de ses habitans est-il empreint d’une vive compassion.


V. — SÉOUL ou KEIGO


Nous sommes arrivés. Les petits conducteurs à face jaune et casquette rouge crient à assourdir : « Keigo ! Keigo ! » Je n’en puis croire mes yeux. Une gare, des hôtels, des buvettes sans nombre ont surgi. Le Séoul que j’ai connu n’existe plus. C’est à bon droit que le nom en a été changé.

Je pénètre dans les rues de la capitale par une pluie torrentielle, les nuages sont inépuisables et les chemins, submergés. Coolies, portefaix et voyageurs s’enlizent dans la boue, incapables d’avancer. Naturellement, les injures et les coups sur-