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entier, de l’orchestre en soi. Des deux principes ou des deux forces, l’une instrumentale et l’autre vocale, M. Pirro n’est pas éloigné de soutenir que, dans l’imagination de Bach, c’est la première qui prévaut. Plus puissante et plus libre, elle confère à des moyens d’ailleurs analogues une efficacité supérieure. « En passant de la voix aux instrumens, les motifs typiques de Bach augmentent de relief, comme pour compenser, par plus d’intensité, ce qu’ils perdent de leur signification immédiate en s’écartant de la parole. » Cela est la vérité même, et sur les deux styles comparés du vieux maître, sur la transmutation ou la transfiguration de l’un en l’autre, voici qui n’avait peut-être pas été dit encore. Musicale et littéraire, la page est tout entière à citer : «Si nous examinons le caractère même des motifs dans l’accompagnement, nous y retrouvons les diverses catégories de thèmes significatifs que nous avons déjà établies. Mais nous les voyons amplifiés, ces thèmes que les voix avaient peine à énoncer, dès qu’ils étaient formés de vastes intervalles, compliqués de relations fausses, prolongés au-delà du souffle médiocre des chanteurs. Ils prennent maintenant toutes les audaces ; ils escaladent, d’un bond, des octaves entières, dévalent ou surgissent avec emportement, s’étirent enguirlandes infinies, tourbillonnent, se hérissent, ardus et farouches, sans perdre pied, sans reprendre haleine, car ils respirent avec l’orgue, ils fuient sous l’archet des violons agiles, ils entre-choquent leurs dissonances dans le tumulte précis des trompettes et dans les cris des aigres hautbois. Au travers de l’immense forêt sonore où il prophétise, Bach les déchaîne à son gré, ces motifs qui portent le message de ses oracles dont la voix humaine trahit parfois la teneur implacable. Maître de cette richesse quasi illimitée de coloris et d’expression, il est d’autant plus libre d’obéir à son imagination et d’être entièrement lui-même. On ne peut nulle part apprendre mieux à le connaître que dans ces gloses instrumentales dont la profondeur, la souplesse et la violence retentissent plus distinctement, plus exclusivement que partout ailleurs, à l’écho de son esprit. »

Ainsi la musique instrumentale de Bach elle-même a son éthos. Et ce qui souvent permet de le reconnaître et de le définir, c’est qu’un assez grand nombre d’œuvres de musique pure du maître ont été par lui transformées en œuvres lyriques. Elles portaient donc en germe et comme en puissance le sentiment