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que la parole y a plus tard épanoui. D’autre part, lorsque Bach a placé, au début de certaines cantates, certaines pièces instrumentales, il semble bien qu’il en ait voulu par la préciser le sens. De même le caractère expressif de tel choral, transcrit pour orgue seul, est naturellement déterminé par les paroles, absentes, mais sous-entendues, qui l’accompagnent d’ordinaire, et l’on peut affirmer ici que ce que l’instrument ne dit pas, il le chante.

Pour la signification ou la valeur expressive, il n’y a peut-être pas de pièce plus considérable que le fameux Caprice (pour clavecin) « soprà la lontananza del suo fratello dilettissimo. » M. Pirro s’y est arrêté longuement. Il en a donné tout ensemble une analyse pittoresque et je dirai presque une exégèse morale. J’entends que, sans forcer ni fausser une seule intention du musicien, vraiment poète ici, le critique a dégagé des choses l’esprit ou l’âme ; sous la représentation matérielle, extérieure, il a su découvrir le symbole, ou l’idéal, et nous le dévoiler.

Pourtant il ne s’agit encore ici que de musique délibérément imitative, de musique à programme ou à sujet. Le hardi commentateur de Bach va nous entraîner plus avant et, jusque dans les œuvres les plus strictement musicales, les plus libres de toute influence littéraire, nous devrons avec lui reconnaître le génie expressif autant que technique, l’imagination pour ainsi dire sentimentale autant que sonore du grand musicien. Inventions, Fantaisie chromatique, fugue de la Toccata en ut mineur, préludes et fugues du Clavecin bien tempéré, partout en ces œuvres, en ces chefs-d’œuvre de raison, nous trouverons l’âme aussi, présente, agissante, une âme tantôt allègre et légère, tantôt rêveuse et mélancolique, tantôt passionnée et douloureuse. C’est ici l’une des parties les plus neuves et les plus fortes de l’ouvrage, un des mérites les plus éminens de l’auteur. Il rétablit au cœur même de la musique de Bach le principe de la sensibilité, qu’on y avait trop méconnu ; ou plutôt, au centre de cette musique, il démontre qu’un grand cœur a battu, bat encore, et de ce cœur il nous fait entendre, sentir les battemens.


II

Après avoir analysé les divers et nombreux sentimens exprimés par la musique de Bach, il semblait que l’auteur eût achevé son dessein. Il a voulu davantage, et nous montrer Bach