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en personne, présent et vivant dans son œuvre. Il l’a fait, pour conclure, en des pages qui sont comme un portrait du maître. Au-dessous de ce portrait, sur lequel se ferme le livre, on lit seulement ces mots : « Jean-Sébastien Bach, cantor allemand, » et ces lignes, de Richard Wagner : « Si l’on veut comprendre, dans une image d’une éloquence incomparable, la merveilleuse particularité, la force et la signification de l’esprit allemand, il faut considérer, avec une attention pénétrante et judicieuse, l’apparition presque inexplicable du thaumaturge de la musique : Sébastien Bach. »

« Thaumaturge » n’est sans doute pas trop dire. Le mot d’ « inexplicable » est peut-être moins exact, et c’est justement pour nous « expliquer « l’apparition de Bach, que son critique a souvent pris soin de le rapprocher de ses devanciers, de ses précurseurs, voire de ses contemporains, allemands, italiens ou français ; de nous le montrer prenant, lui aussi, plus d’une fois son bien où il le trouvait, mais, par l’originalité même et la puissance de cette prise, le faisant sien, à lui seul et pour jamais A cela près, Wagner avait raison, et M. Pirro s’accorde avec lui pour reconnaître et saluer dans l’immortel cantor le type ou l’idéal du génie allemand. Le signe de la race chez Bach domine et résume tous les autres. Le sentiment religieux et le sentiment de l’amour, celui de la nature et celui du comique, c’est en quelque sorte à l’allemande que Bach les a éprouvés et traduits.

L’esprit, non pas l’esprit de finesse, mais une humeur, ou plutôt un humour un peu rude, une verve libre et gaillarde, ironique, satirique même, n’est pas, dans le génie de Bach, — non plus que dans celui de Beethoven, — un élément à négliger. Aussi bien, le don du rire était héréditaire dans la famille du maître. Hans, l’arrière-grand-père, se tenait constamment et tenait avec lui tout le monde en gaieté. On lisait au bas d’un portrait qui le représentait jouant du violon dans un costume burlesque : « Si tu l’entends, il faut que tu ries. » Heinrich, fils de Hans « à la jolie barbe, » passait aussi pour un plaisant compère. Enfin, quand certains jours de fête réunissaient les nombreux représentans de cette saine et forte lignée, c’était pour prier d’abord, mais c’était aussi pour chanter, boire et se divertir. Jean-Sébastien ne répudia rien de l’héritage de sa race. Lui qui fut si pieux, si grave, si tragique, il ne lui ni maussade, ni morose. Dans son âme et dans son art, où rien d’humain, pas