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de soupers en compagnie de Louis XIV et de Mme de Maintenon, ses amours avec Pierre le Grand, et la pose de la première pierre de la ville de Saint-Pétersbourg[1].

Dans ces milieux divers, Ségur avait pour compagnon son cadet, Joseph-Alexandre, connu sous le nom de vicomte de Ségur, que des Mémoires récemment publiés[2] dépeignent en ces termes : « Sa figure était agréable, sa taille élevée, leste et dégagée ; la gaieté brillait dans ses traits et dans toute sa personne et se communiquait par un charme presque irrésistible. Ses saillies vives et brillantes, son ton enjoué, la tournure plaisante qu’il donnait à tout, son persiflage léger exempt d’amertume, tiraient encore un nouveau sel de l’air de nonchalance, presque de simplicité, dont il les accompagnait. » Le comte et le vicomte, dans les salons qu’ils fréquentaient ensemble, étaient aimés et recherchés à l’égal l’un de l’autre : « Chacun, écrit Mme Necker, eût désiré les avoir pour fils, frères ou amis. » Avec Narbonne, Lauzun et quelques autres, ils constituaient ce groupe brillant que Fontanes surnommait « les princes de la jeunesse, » ceux qui donnaient le ton et dont on redisait les mots. Une affection étroite unissait les deux frères, et jamais, par la suite, les divergences d’idées, les diversités de carrières, n’altérèrent leur intimité et leur mutuelle tendresse ; jamais non plus la supériorité des talens de l’aîné, ses succès plus retentissans, ne provoquèrent chez le cadet l’ombre d’envie ni d’amertume : « Je pourrais en être jaloux, disait-il de son frère, j’aime mieux en être fier. »

L’heureuse étoile qui, en cette phase de son existence, veillait sur Louis-Philippe mit sur sa route une des seules femmes, sans doute, qui fût capable de fixer, — si l’on néglige quelques faiblesses inhérentes à son siècle, — un cœur naturellement volage. Fille du marquis d’Aguesseau et petite-fille du fameux chancelier, à tous les dons de l’esprit et de l’âme Marie d’Aguesseau joignait une beauté dont le pinceau de Mme Lebrun nous a transmis la délicieuse image. La voir, l’aimer et demander sa main fut tout un pour Ségur. Le mariage se fit à Paris le 30 avril 1777 ; et, à bien des années de là, voici en quels termes l’époux se félicitait de son choix : « Il me faudrait[3] une femme

  1. Galerie Morale, par le comte de Ségur.
  2. Mémoires du marquis de Bouillé.
  3. Recueil de famille.