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ralliés aux idées nouvelles, tous s’efforçant d’attirer cette nouvelle recrue dans leur camp. Ils n’y eurent guère de peine. Imprégné depuis sa jeunesse de l’ « esprit philosophe, » séduit en Amérique par le mirage de la liberté politique, Ségur s’associa sans effort à ceux dont le rêve généreux était de faire fleurir, sur le vieux sol de la monarchie, une ère d’indépendance, de tolérance, d’affranchissement de toutes les servitudes. Mais, sceptique par tempérament, instruit par l’expérience de cinq ans de diplomatie, il était plein de doute sur le succès de cette noble entreprise. « Je partage vos vœux plus que vos espérances, » répondait-il à Lafayette, prophète boursouflé de l’âge d’or. Il se traça dès cet instant la ligne de conduite qu’il comptait suivre constamment pendant la durée de la crise : demeurer, autant qu’il pourrait, spectateur, non acteur, dans la lutte des partis, tout au moins n’y intervenir que pour donner de chaque côté des conseils de modération, et n’employer son influence qu’à concilier et à réconcilier. C’est un rôle honorable, mais rarement efficace, et dont l’ordinaire résultat est d’attirer sur soi les coups de tous les combattans. Et tel fut, en effet, le lot qui échut à Ségur.

Son intimité d’autrefois avec Marie-Antoinette, sa liaison avec Lafayette et les principaux chefs de l’Assemblée nationale, l’habitude qu’il avait des négociations, sans compter ses dons naturels de finesse et de persuasion, tout le désignait pour servir d’intermédiaire officieux, de trait d’union entre la Cour et les meneurs de la Révolution. L’année 1790 fut presque entièrement occupée à des échanges de vues et à des pourparlers où Ségur prit une part active. La Reine, qui depuis quelques mois avait semblé se refroidir, se rapproche subitement de lui, le mande journellement aux Tuileries, et lui témoigne en apparence une confiance sans limite. « Votre ami le candidat à l’Académie mène absolument les affaires étrangères, écrit Mirabeau à La Marck. — Il a vu vingt fois la Reine, riposte ce dernier. — La fréquence des rendez-vous de Ségur, reprend à son tour le tribun, est réellement extraordinaire. Êtes-vous bien sûr qu’ils ne produiront rien[1] ? » Vaudreuil, dans le même temps, mande secrètement au Comte d’Artois : « Savez-vous quels sont les sentimens du comte de Ségur ? Il est ambitieux, plein d’énergie, de talent

  1. Correspondance de Mirabeau avec le comte de La Marck.