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fâchée, car, moi, je resterai aristocrate, c’est mon métier. Songez-y, vous allez trouver la France bien enfiévrée et bien malade. — Je le crains, madame, répliqua-t-il, mais c’est ce qui me fait un devoir d’y retourner. « Le 11 octobre 1789, Ségur quittait Saint-Pétersbourg et en janvier suivant débarquait à Paris.


III

Le bonheur de revoir les siens après cette longue absence fut vite gâté, comme le lui prédisait Catherine, par les soucis de la politique. Partout il trouvait la discorde. Dans sa propre famille, il eut à constater de profondes divergences, non de sentimens, mais d’idées. Le premier entretien qu’il eut avec son père ne lui laissa sur ce point aucun doute. Elevé dans le culte fidèle des institutions monarchiques, le maréchal considérait comme une « folie dangereuse » toute tentative capable d’ébranler le vénérable et antique édifice qui, depuis tant de siècles, avait abrité tant de gloire. Pour la noblesse française, il ne concevait qu’un seul devoir : défendre le trône menacé par une « entreprise de factieux. » Cette même horreur du mouvement révolutionnaire, Louis-Philippe de Ségur la rencontrait encore dans la bouche de son frère, mais sous la forme plus légère qui était propre au vicomte : « Voulez-vous savoir, disait-il, ce que c’est qu’une révolution ? L’explication en est tout entière dans ces mots : Ote-toi de là que je m’y mette[1]. « Il reprochait surtout aux chefs du parti populaire d’avoir détruit cette aménité dans les mœurs, cette douceur dans les formes, qui faisaient de Paris la capitale de l’élégance, de la courtoisie, du bon ton. En attendant le jour où, en compagnie de Suleau, de Rivarol, de Mirabeau cadet, il les attaquerait publiquement dans cette étrange feuille royaliste, les Actes des Apôtres, qui prétendit tuer par le ridicule le monstre grandissant, il se répandait en bons mots, en cinglantes épigrammes, qui divertissaient le public aux dépens des vainqueurs du jour, sans ralentir en rien leur marche triomphale.

A l’autre pôle de l’opinion, Ségur trouvait ses compagnons du Nouveau Monde et la plupart de ses anciens amis, Lafayette, Lauzun, Broglie, les deux Lameth, le vicomte de Noailles, tous

  1. Galerie morale, passim.