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possession de celui qui écrit aujourd’hui cette étude ; il y est joint une note de la main du comte de Ségur, qui sert de post-scriptum à la lettre de lui que l’on a lue plus haut : « Le temps a changé, non mes opinions, non mes sentimens, mais mon sort. Je suis rétabli dans ma dignité de pair de France, je continue mon travail, et ma femme n’interrompt point ses touchans sacrifices. »

Ces dernières lignes sont datées de 1819. A cette époque, en effet, sous la pression de l’opinion publique, Louis XVIII avait fait une grande « fournée » de pairs composée presque exclusivement de libéraux et de bonapartistes, ce qui alors était tout un. Ségur y fut compris, et retrouva sa place sur les bancs de l’opposition, prenant une part active aux délibérations. C’est à cette rentrée imprévue que fait allusion ce cou})let de la chanson, déjà citée, où il a résumé les principaux faits de sa vie :


Lorsque après vingt ans de guerre
Nous revîmes les Bourbons,
En reprenant leur bannière,
Ils firent pairs et barons.
Mais cette noble pairie
Qu’on devait, suivant nos lois,
Donner au moins pour la vie,
Moi, j’y fus nommé trois fois !


Cette même année fut celle de l’ouverture du salon, jusqu’alors réservé aux intimes, mais où bientôt, à l’appel du comte de Ségur, se réunit ce que Paris comptait d’hommes distingués dans la politique et les lettres. Les habitués avaient nom Lafayette, Boissy d’Anglas, Lameth, Daru, Barbé-Marbois, Viennet, Arnault, Benjamin Constant, Casimir Perier, le général Mathieu-Dumas ; on y voyait aussi quelques femmes aimables et jeunes, dont la grâce égayait cette société un peu sévère. Chaque soir, dans une pièce simplement meublée et à la faible lueur d’une lampe que sa vue fatiguée supportait avec peine, le vieillard se tenait assis, entouré de sa femme, de ses enfans, et des amis fidèles qui se plaisaient dans cette demeure : « Il en faisait les honneurs, rapporte un des familiers du logis, avec une bonne grâce et une courtoisie inimitables. Toutes les opinions, tous les partis, tous les mondes, se retrouvaient chez lui. Dès qu’il élevait un peu la voix, toutes les conversations cessaient ; on faisait cercle pour l’écouter, et il tenait tout l’auditoire sous le charme de sa causerie, semée d’anecdotes, de souvenirs, de