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peuple naturellement orgueilleux un regain d’exaltation nationaliste. Dans les hautes classes de la société, cette superbe patriotique ne se manifeste guère, contenue qu’elle est par une extrême courtoisie. Dans les bases classes, chez les garçons de café ou les pousse-pousse, elle s'étale impudemment. M. Millard, qui a visité le Japon depuis la guerre, a été frappé du changement. « Aujourd’hui, dit-il, mieux vaut dans ce pays subir, s’il est tolérable, un préjudice causé par les indigènes que de recourir aux tribunaux[1]. » Et il ajoute que les résidens étrangers répètent couramment : « Il nous faudra partir d’ici. » N’oublions pas d’ailleurs que, même depuis les traités qui ont aboli au Japon l’exterritorialité en faveur des étrangers, les droits des Européens et des Américains sont restés dans ce pays sensiblement inférieurs à ceux dont les Japonais jouissent à l’étranger : le droit de posséder la terre, de diriger des exploitations agricoles ou minières, ou même d’y participer leur est notamment refusé. Enfin, la moralité générale du pays aggrave ces inégalités. Sur bien des points, les paroles fameuses que prononçait le marquis Ito, le 9 décembre 1899, sont restées vraies. Le peuple japonais n’attache qu’une médiocre importance à la pratique de ces « devoirs envers les étrangers, » que lui prêchaient alors l’éminent homme d’État et le mikado lui-même[2]. Les Américains sont les plus vifs à se plaindre de ces défauts nationaux, sans doute parce qu’ils sont plus que d’autres exposés à en souffrir.

Ce n’est point là cependant le vrai, le profond grief qu’ils élèvent contre les Japonais. Concurrence japonaise en Chine, nationalisme japonais au Japon, contrefaçon et discourtoisie, ils supporteraient tout cela, s’ils ne rencontraient pas les Japonais chez eux, sur le territoire de l’Union. Ce n’est pas à la prospérité, ce n’est pas à la richesse, ce n’est pas à la puissance japonaise qu’ils s’en prennent : c’est à l’immigration japonaise, chaque année plus importante et chaque année plus gênante, c’est à l’intensité, à la méthode, aux conséquences de cette immigration. Les chiffres qui dénombreraient exactement la population japonaise des États-Unis nous manquent actuellement et ne nous seront fournis que par le prochain recensement qui aura lieu en 1910. Mais, chaque année, le bureau d’immigration enregistre le nombre des arrivans. Il en est venu en chiffres ronds 5000

  1. Millard, op. cit.
  2. Voyez Henry Dumolard, le Japon économique et social.