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leurs d’entre eux. Ceux-là mêmes enfin, contre la probité desquels nul reproche ne peut être élevé, ont des allures inquiètes, partant suspectes, et cela par la force des choses. Ils n’ignorent pas qu’entre les Américains et eux, la fusion est impossible ; qu’ils ne seront jamais naturalisés. Les Américains assimilent toutes les races d’Europe. Mais la couleur est un obstacle sur lequel ils ne passent pas, et c’est pourquoi les Japonais seront toujours considérés comme des intrus, parfois traités comme des ennemis. Sous le poids de cette exclusion morale, ils vivent entre eux. Ils forment des communautés fermées et leur solidarité est resserrée par les vexations qu’ils subissent. Ainsi se constitue un bloc japonais qui ne dit rien qui vaille, aux Californiens surtout, quand des journaux nippons formulent ce vœu téméraire : « Ah ! quand pourra-t-on fêter l’anniversaire de la fondation d’un nouveau Japon ? »

Ce « nouveau Japon, » les Américains, — et qui les en blâmera ? — entendent qu’il reste américain. L’aversion qu’inspirait le Chinois, qu’il inspire encore, même depuis la loi d’exclusion, se réveille contre le Japonais. Comme on raille le nègre qui s’habille à la mode des blancs, on accable de sarcasmes le Jap déguisé en Yankee. Les syndicats mènent la partie, et, comme ils sont les maîtres de la mairie de San Francisco, ils n’ont point de peine à mettre la loi au service de leurs passions. Beaucoup d’ailleurs, sans approuver leur méthode, pensent que leur thèse est juste. Pourquoi le travail national, pourquoi la main-d’œuvre nationale seraient-ils moins protégés que l’industrie nationale ? On a élevé contre les marchandises étrangères une barrière de tarifs. Que ne dresse-t-on contre les ouvriers étrangers une barrière d’exclusion ? Pour combattre l’immigration japonaise, l’accord est fait du moins en Californie entre les républicains et les démocrates. La Japanese and Corean Exclusion League réunit tous les partis. Seuls les gens de l’Ouest, à l’époque de l’engouement japonophile, réagissaient contre la tendance générale. Ils déclarent aujourd’hui, fidèles à eux-mêmes, que leurs pronostics n’étaient que trop justifiés. Et ils invoquent à l’appui de leurs craintes ce qui se passe aux Hawaï[1].

Ils montrent ces îles envahies par les coolies japonais qui, en 1905, constituaient 66 pour 100 de leur population ; l’expro-

  1. Cf. Aubert, op. cit.