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priation progressive des blancs par les Japs qui, d’abord concentrés dans les plantations, monopolisent maintenant tous les métiers tant urbains qu’agricoles, le petit commerce et la petite industrie ; l’arrivée des femmes qui peu à peu transforment en une population stable une population jusqu’alors toute mobile ; l’évolution des écoles presque exclusivement fréquentées par des enfans japonais, qui, nés dans les îles, pourront se faire naturaliser ; les achats de terre de plus en plus nombreux qui fourniront une base aux naturalisés de la veille pour une action politique, dont, à coup sûr, l’Amérique ne sera pas l'inspiratrice. Ils montrent surtout, s’élançant des Hawaï, sans limitation et sans contrôle, l’armée des Jaunes qui, de là, se répand sur le sol de la Californie, où une vie plus douce, des salaires plus hauts les attirent. Et ils demandent avec angoisse si la Californie subira quelque jour le sort des Hawaï : — américaines en apparence, japonaises en réalité, « nouveau Japon, » base stratégique pour de plus ambitieux desseins.

Une politique d’interdiction, une politique de fermeture est la seule qui réponde aux aspirations de la Californie. Mais le peuple, qu’il s’agirait d’atteindre, est l’un des plus justement orgueilleux du monde. Tout son effort, admirable d’intensité et de suite, a tendu depuis quarante ans à obtenir droit de cité et traitement égal parmi les nations occidentales. Il a voulu s’approprier d’abord de la civilisation européenne tout ce qui fait la force. Il a conquis par une négociation qui a duré un quart de siècle sa libération juridique et son assimilation internationale aux autres puissances. Il a mérité, gagné et conservé l’alliance de l’Angleterre. Il a soutenu contre la Russie avec un plein succès une guerre formidable. Il est, — il sera pendant quelques semaines encore[1], — la seule puissance navale de l’océan Pacifique. Longtemps méconnu, il est doublement susceptible et ne permettrait pas qu’on lui appliquât les procédés sommaires que la Chine est obligée de subir. Ce pays, c’est le Japon moderne, prodigieusement attentif à la défense de ses droits, singulièrement armé pour les soutenir, lié jusqu’ici au gouvernement de l’Union par des relations d’intime amitié. San Francisco contre Tokyo, — et peut-être contre Washington, — tels sont les trois termes du débat que le monde a suivi depuis quinze mois.

  1. L’escadre américaine n’arrivera dans le Pacifique qu’à la fin de l’hiver.