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grande partie du peuple catholique boudait avec elle, parce qu’environ 400 pétitions, groupant 37 000 signatures, réclamaient du grand-duc le changement de la loi, parce que la loi même devenait un prétexte à une agitation religieuse constante, et parce que cette agitation religieuse, enfin, faisait espérer la formation d’un parti populaire catholique semblable à celui qui depuis quatorze ans défendait le catholicisme prussien. C’était un beau tribun que Jacob Lindau : il imagina ce qu’il appelait les « casinos ambulans. » Avec des escouades de conférenciers, il s’en allait de bourgade en bourgade pour prêcher la résistance passive à la loi. Lorsque le « casino » de Mannheim, le 23 février 1863, eut donné lieu à des troubles, le gouvernement interdit les « casinos. » Les amendes continuaient de pleuvoir pour châtier les catholiques de leur force d’inertie, d’autant plus obstinée qu’on la contraignait de rester muette : Ketteler réclamait en leur faveur l’intervention de François-Joseph, et à la première Chambre, le baron d’Andlau interpellait.

Alors le ministre Lamey jeta, du haut de la tribune badoise, une phrase lumineuse qui résumait, sans qu’il le voulût, toute la philosophie du conflit. On lui reprochait de porter atteinte à la conscience des citoyens : « La loi, répliqua-t-il, voilà la vraie conscience publique, la vraie conscience du pays ; et c’est tant pis pour celui qui, à côté et au-dessus de la loi, veut posséder une conscience privée ; qu’il paie l’amende ! » En deux phrases, Lamey avait défini l’antagonisme ; mais le définir, c’était l’accentuer. Deux principes donc s’affrontaient : le droit de la majorité parlementaire et le droit privé des consciences. Lamey luttait pour le premier droit, Vicari pour le second. En soulignant ainsi le contraste, Lamey rendait un service à l’opposition catholique : il empêchait le peuple de s’endormir ; sa voix retentissante, autorisée, posait la question, comme l’avaient posée, dans les casinos, les orateurs catholiques auxquels il avait fermé la bouche ; et la question se résumait en une lutte entre deux souverainetés : la souveraineté des pouvoirs humains, dont Lamey était un superbe avocat, et la souveraineté des consciences, dociles échos de Dieu. Du fond de son évêché de Mayence, Ketteler lança deux brochures successives pour dénoncer l’esprit d’absolutisme de Lamey et pour montrer dans l’absolutisme divin la garantie suprême des libertés humaines. Puis derechef, à la