Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 43.djvu/440

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’âme de la femme qui se résout à un acte dont peu de femmes parmi ses auditrices se sentent capables. Est-ce une honnête femme ? Comment alors admettre qu’elle ait si facilement trompé son mari ? Est-elle à la merci de ses sens ? D’où vient alors cette révolte de conscience qui fait qu’elle sacrifie son amour même à une abstraite idée de devoir ? Ce mari qu’elle aime, de quel amour l’aime-t-elle ? Je crains, pour ma part, que cette jeune femme ne soit surtout une sotte. C’est un genre d’explication qu’on néglige trop souvent quand on essaie d’interpréter le spectacle de la comédie humaine. Pourtant, combien d’actes en apparence mystérieux s’éclaireraient aussitôt, si nous faisions attention que la culture, l’usage mondain, le brillant même de l’esprit recouvrent souvent des abîmes de sottise. Nous n’y songeons pas. Ce serait trop simple. Nous préférons des exégèses plus compliquées. Claire trompe son mari par sottise. Par sottise aussi elle le lui avoue. Seulement, elle enguirlande son aveu de grands mots, parce qu’elle a de la lecture... Mais, suivant les probabilités, ce n’est pas cela que les auteurs ont voulu dire. Leur héroïne reste pour nous une indéchiffrable énigme.

Et notez que son mari nous est aussi complètement étranger. Sur sa complexion morale, sur l’état de son âme et celui de son cœur, on a négligé de nous donner aucune espèce de renseignemens. Cela pourtant avait quelque importance, puisqu’il s’agit de savoir de quelle humeur il va accueillir l’étrange révélation dont sa femme juge bon de le régaler. Il en souffrira, c’est entendu. Mais il y a tant de manières et si diverses de souffrir ! Jacques est-il un violent, un tendre, un sentimental, un sensuel ? Est-ce dans son amour qu’il est blessé davantage ou dans son amour-propre ? Nous pourrions multiplier à l’infini les points d’interrogation ; car ces personnages sont des êtres anonymes, sans figure, sans caractère, sans histoire. Ce sont des entités : une femme et un mari. La crise qui, tout d’un coup, éclate entre ces inconnus, ne nous cause qu’une surprise violente. Pourquoi ? Comment ? Qu’est-ce que cela veut dire ? Nous avons la sensation que l’auteur nous jette en pleine fantaisie : l’invraisemblance nous fait crier.

Le drame va se continuer dans la même obscurité, avec la même brusquerie. Jacques, en apprenant son malheur, tout de suite écume. Son premier mouvement est pour chasser sa femme : « Va-t’en ! » Mais Claire implore, supplie. Le revirement est immédiat. Jacques consent à garder l’infidèle : « Restai » C’est un homme qui ne semble pas avoir une volonté très sûre d’elle-même. Je dirais que c’est une girouette, s’il ne nous faisait surtout l’effet d’être un pantin. — Et