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d’un virage pris trop court. Le quatuor du jardin se jouait comme une folle partie de cache-cache, où les partenaires se seraient toujours poursuivis, sans « s’attraper » jamais.

Plutôt que de retenir les chanteurs, l’orchestre les pressait encore. Un jeune et nouveau chef le conduisait alla breve, avec une espèce de frénésie. Habiterait-il la banlieue et fallait-il attribuer tant de hâte à la crainte de manquer le dernier train du soir ? Cet esprit de retour animait, enflammait déjà l’un de ses devanciers. Quand celui-là descendait, haletant, de son siège, on rapporte qu’il n’était pas rare de l’entendre s’écrier avec orgueil : « Onze heures quarante-huit ! Nous avons gagné six minutes sur le dernier acte. »

Au prestissimo sans répit s’ajoutait, en cette exécution furieuse, un fortissimo sans pitié. Grétry, je crois, a dit qu’il y a chanter pour parler et chanter pour chanter. Il oubliait une troisième manière : chanter pour crier. Les artistes de l’Opéra la pratiquèrent ce soir-là. Et l’orchestre, à cet égard encore, ne fut point en reste avec eux. Rarement je vis battre ainsi la mesure, la battre au point de l’assommer. Le chef-d’œuvre délicat et nuancé de Gounod périssait littéralement sous le bâton. Rien ne lui restait plus de sa grâce, de son élégance et de son modelé sonore. On le chantait, on le jouait à l’Opéra, publiquement, comme pas un de nous, musiciens, au piano et tout seul, ne se permettrait de le lire.

Ab uno disce omnes. Une telle représentation n’avait rien d’exceptionnel. Tout le répertoire, et depuis longtemps, est dans le même état. On nous promet de le remettre en scène. Rien de mieux... Pardon, il y aurait, et nous voulons espérer qu’il y aura quelque chose de mieux : ce sera de le remettre en musique.


Nous ignorons, n’en ayant pas été le spectateur, ce que fut autrefois, sous la forme littéraire, la pièce, longtemps et triomphalement odéonienne, de M. Jean Richepin. Accommodée et réduite en « livret » musical, il parait malaisé d’y trouver autre chose qu’un mélodrame populaire, campagnard et larmoyant.

Au pays de France et, je crois, de Bourgogne, c’est jour d’été et de moisson. Parmi les moissonneurs, il en est un, plus robuste et plus courageux que les autres, plus joyeux et toujours chantant. On ne sait rien de lui, pas même son nom. Partout il ne fait que passer, portant ailleurs, chaque jour ou chaque semaine, son travail capricieux comme ses chansons. Et ses amours ne sont pas moins volages. Au service de maître Pierre, le fermier de la plaine blonde, il a séduit