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nous le représente cachant son angoisse sous une exagération continue de son « air de gravité, » tandis qu’auprès de lui la reine Marie-Anne d’Autriche étale hargneusement ses énormes garde-infantes, et que nous voyons s’étioler, parmi la troupe pitoyable de ses naines, la pauvre petite fleur de serre qu’est l’Infante Marguerite, et que le petit Infant Philippe-Prosper, unique espoir du royaume, dans tout l’apparat délicieux de sa robe de dentelles, s’appuyant au dossier d’un fauteuil pour pouvoir demeurer debout sur ses jambes trop faibles, nous considère avec le triste regard d’une victime déjà promise à la mort. Laissant à ses confrères le soin de nous exposer les événemens politiques du règne, et dédaignant, d’autre part, les révélations plus ou moins suspectes des chroniqueurs sur les scandales de la cour espagnole, M. Martin Hume s’est uniquement efforcé de nous introduire dans l’intimité quotidienne du Roi et de sa famille. « Mon objet, nous dit-il dans sa préface, a été de répondre au goût nouveau des lecteurs d’ouvrages historiques. Car ceux-ci, désormais, demandent à être renseignés sur les êtres humains qui ont personnifié les faits de l’histoire, beaucoup plus que sur les plans des batailles qui se sont livrées. Ils désirent écarter le voile d’abstraction que les écrivains ont, jusqu’ici, interposé entre eux et les hommes ou les femmes dont les existences ont jadis décidé des destinées du monde ; ils veulent voir ces grands personnages tels qu’ils ont vécu dans leur habitude familière, écouter leurs paroles, lire leurs lettres privées, afin d’obtenir ainsi la clef de leurs cœurs et de leurs cerveaux. Ils aspirent à apprendre l’histoire par l’intermédiaire de ses acteurs humains, au lieu d’avoir à deviner confusément les acteurs humains à travers les faits généraux de leur temps. »

Et peut-être une entreprise littéraire de ce genre, appliquée au règne d’un souverain espagnol assez médiocre d’il y a deux siècles et demi, n’aurait-elle guère de quoi nous émouvoir, aujourd’hui, entre la foule de sujets plus actuels, ou plus expressément pathétiques, que d’autres historiens sont en train de traiter de la même façon ; mais il se trouve que le sujet traité par M. Hume a été traité, avant lui, par le plus puissant créateur de vie que le monde ait connu ; et ainsi l’on pourrait presque dire qu’il n’y a pas, dans toute l’œuvre de Velasquez, une seule figure que le récent ouvrage anglais ne nous aide à comprendre, princes et courtisans, comédiens, bouffons, et jusqu’aux chevaux même, souvent décrits dans les documens originaux qu’a découverts M. Hume. Avec une exactitude véritablement surprenante, les témoignages écrits viennent confirmer et compléter le témoignage du peintre : et jamais ce dernier ne nous apprend aucune