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On en était là lorsqu’un député, M. Dessoye, a demandé au gouvernement ce qu’il pensait d’un arrêt rendu par la cour de Dijon dans un ordre de faits tout différent. Le cas est intéressant et vaut la peine d’être mentionné. Un instituteur d’une petite commune de la Côte-d’Or aurait, dit-on, tenu dans sa classe des propos anti-patriotiques, anti-religieux et immoraux. Un père de famille, ému et indigné, l’a poursuivi devant le tribunal civil de l’arrondissement, en lui réclamant 2 000 francs de dommages-intérêts. Il s’appuyait sur l’article 1682 du Code civil, qui est’ ainsi conçu : « Tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer. » Que le dommage soit matériel ou moral, peu importe : la réparation n’en est pas moins exigible. La cause, toutefois, n’est pas aussi simple qu’elle le paraît au premier abord. L’instituteur avait agi dans l’exercice de ses fonctions : on pouvait soutenir que sa faute était de l’ordre professionnel, et qu’elle relevait de la compétence administrative. En d’autres termes, l’instituteur était disciplinairement justiciable de ses chefs hiérarchiques, inspecteur primaire, inspecteur d’académie, etc. Tel a été l’avis du tribunal de première instance : il s’est déclaré incompétent. Mais la thèse contraire ne manque pas non plus d’argumens qu’un avocat habile peut faire valoir. Les chefs hiérarchiques de l’instituteur restent parfois inertes, et c’est ce qu’ils ont fait dans l’espèce. D’autre part, les termes de l’article 1682 ont un caractère très général. L’instituteur peut être considéré comme ayant agi hors de l’exercice de ses fonctions, puisque ses fonctions, loin de l’autoriser à tenir les propos qu’on lui prête, lui interdisent de le faire. On comprend donc que la cour de Dijon, saisie de l’affaire, ait pu rendre un arrêt qui a cassé le premier jugement, et déclaré le tribunal civil compétent. Ce n’est pas le moment pour nous de choisir entre les deux thèses : nous nous contenterons de dire que, si les autorités universitaires remplissaient toujours leur devoir envers les instituteurs qui enfreignent le leur, les pères de famille ne chercheraient pas une juridiction en dehors d’eux. Quoi qu’il en soit, l’arrêt de la cour de Dijon a produit une émotion assez vive dont M. Dessoye s’est fait l’interprète auprès de la Chambre. M. Briand a paru surpris. Il ne connaissait pas l’affaire, ce qui semble prouver qu’il s’occupait moins des questions universitaires que des questions ecclésiastiques. Il a d’ailleurs répondu à M. Dessoye en termes convenables ; mais, ceci fait, il n’a pas pu se retenir de manifester sa méchante humeur contre la magistrature, et il a exprimé le regret que « devant les tribunaux, la préoccupation des intérêts de