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au chevet du comte de Schoulembourg. Le bonhomme se mourait après avoir loyalement servi le Roi, comme général de ses armées et, non moins loyalement, la jolie veuve comme sigisbée.

La mode en ce temps-là voulait qu’à Turin toute femme de qualité eût un sigisbée ou, pour parler français, un amant d’espèce assez singulière, car ses fonctions l’obligeaient à suivre partout sa dame en public, à la servir, à porter ses couleurs et à ne la jamais voir en particulier. L’eût-il fait d’ailleurs que personne ne s’en fût trop formalisé, car, — toujours en ce temps-là, — la philosophie conjugale était au mieux professée, dit-on, par les maris Turinais.

Schoulembourg avait donc beau jeu à proclamer la vertu de sa dame...

— Ah ! Sire, n’embarrassez pas ma tête de scrupules, suppliait-il en suivant le regard narquois du Roi qui, de son lit, allait à la belle éplorée. Je serais désolé que la présence ici de Mme de Saint-Sébastien vous causât le moindre scandale. Je vous jure, prêt à paraître devant Dieu, que mon amour pour elle n’a jamais été que « spéculatif. »

Tandis que le vieux guerrier parlait si galamment au Roi, les beaux yeux de la comtesse se faisaient tendres pour lui parler plus galamment encore du passé ; qui sait, de l’avenir peut-être !

Certaines cendres, en effet, se réchauffent si bien, si vite, que huit jours après la mort de son vieux soupirant, Mme de Saint-Sébastien s’installait au palais pour inaugurer, auprès de la princesse de Piémont et de son mari, ses très intimes fonctions de camarera-mayor.

Chaque soir elle descendait par un escalier dérobé chez le Roi prendre ses ordres pour la nuit du ménage. Le matin, c’était pour rendre compte, le même revoir, par le même petit escalier ; tous deux discutaient alors longuement les intimités de l’amour conjugal. Le Roi goûtait fort l’expertise, en ces matières délicates, de l’adroite confidente qui, sous prétexte de seconder ses vœux dynastiques, ragaillardissait fort sa personne royale ; mais la comtesse n’était plus la trop naïve Cumiane. Elle voulait être attaquée à bon escient, dans les formes, et n’épargnait rien pour y parvenir. Tantôt elle prenait, devant un propos trop leste, son plus grand air offensé, tantôt elle provoquait cette même gaillardise par quelqu’un de ces regards qui n’épargnent rien pour engager, qui promettent tout pour retenir.