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d’écrivain, nous avons vu Taine se livrer avec une si scrupuleuse probité ? La voici, non moins instructive que les considérans dont il l’avait fait précéder :


Si cela est vrai, il faut donc changer de style ; grande entreprise… Je finirai mon Histoire de la littérature anglaise en gardant la première méthode. Mais l’ouvrage fini, je dois changer…

Ainsi il y a un genre littéraire de ce côté du côté des notes prises et des impressions écrites au courant de la plume, exempt de fatigue, très bon en ce que les impressions, les idées y ont une fraîcheur, une sincérité extrêmes, c’est le genre de Stendhal et de ses notes. Le défaut, c’est d’être décousu et obscur, de mal prouver, d’être trop abrégé, de ne jamais faire masse.

Pourrais-je à côté de cela reprendre en d’autres sujets le genre explicatif et oratoire simple, le talent du professeur et du vulgarisateur, l’art de démontrer clairement et abondamment avec des classifications bien naturelles et bien tranchées ? Voilà ce qu’il faudrait retrouver pour le Journal des Débats et la Revue [des Deux Mondes]. Toute ma première éducation me l’avait enseigné, et il est possible que je le retrouve.

Il me semble que je puis me fier à cet examen de conscience et prendre la résolution que voici : achever mes trois chapitres ; remplacer ensuite mon style actuel par les notes courantes et par la classification simple. Employer les notes courantes pour mon Angleterre contemporaine et la classification simple pour la Psychologie [l’Intelligence] et les Lois en histoire.


Taine devait finir par répudier cette sorte de dédoublement de son moi et de sa manière d’être et d’écrire, et par revenir à sa première méthode de style pour les Origines de la France contemporaine. Mais n’est-il pas vrai que ce texte capital éclaire toute son œuvre, et nous explique tout ensemble les caractères originaux de son style et les démarches intimes de sa pensée ?


III

Pénétrons plus avant encore, si c’est possible, dans l’intimité de cette pensée, et tâchons d’en saisir, sur quelques points essentiels, les secrets ressorts, La Correspondance nous en fournit les moyens.

Il y a, dans la vie intellectuelle et morale de tout penseur moderne, une question préalable et, si l’on peut ainsi dire, centrale à se poser. Car, de la réponse que l’on fait, et qu’il a faite lui-même, à cette question, tout dépend étroitement : la qualité et l’espèce de sa philosophie, ses vues sur le monde et sur la vie, sur l’homme individuel et sur l’homme social, sur la morale et