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sur la science. Si l’on peut déterminer avec précision son attitude à l’égard de la religion, et non pas seulement son attitude officielle, mais son attitude intérieure, ses raisons vraies, ses raisons profondes de croire ou de ne pas croire, ce n’est pas seulement la nature même et l’orientation tout entière de sa pensée que l’on embrasse et que l’on juge, c’est encore son être le plus intime et le fond même de son âme que l’on touche.

Jusqu’ici, une certaine obscurité, en ce qui concerne Taine, planait sur cette question. Égaré par certains indices, j’avais cru personnellement qu’aux environs de la vingtième année, le futur auteur des Origines avait eu une « crise religieuse » sinon plus longue, tout au moins plus douloureuse que celle qui fit sortir Renan de Saint-Sulpice. Je dois bien reconnaître aujourd’hui que je m’étais un peu trompé : la crise fut plus précoce et beaucoup plus superficielle que je ne l’avais supposé. Un document de première importance publié par les éditeurs de la Correspondance nous renseigne à cet égard sobrement, mais avec une très suffisante netteté. C’est une sorte de confession intellectuelle datée du 6 mars 1848, — Taine allait avoir vingt ans, — et qui servait d’introduction à un travail personnel intitulé : De la destinée humaine. Le jeune homme y résumait, « pour les retrouver plus tard, » « les changemens, les incertitudes et les progrès de sa pensée » depuis cinq ans.


Jusqu’à l’âge de quinze ans, j’ai vécu ignorant et tranquille. Je n’avais point encore pensé à l’avenir, je ne le connaissais pas ; j’étais chrétien, et je ne m’étais jamais demandé ce que vaut cette vie, d’où je venais, ce que je devais faire…

La raison apparut en moi comme une lumière : je commençai à soupçonner qu’il y avait quelque chose au-delà de ce que j’avais vu ; je me mis à chercher comme à tâtons dans les ténèbres. Ce qui tomba d’abord devant cet esprit d’examen, ce fut ma foi religieuse. Un doute en provoquait un autre ; chaque croyance en entraînait une autre dans sa chute… Je me sentis en moi-même assez d’honneur et de volonté pour vivre honnête homme, même après m’être défait de ma religion ; j’estimai trop ma raison pour croire à une autre autorité que la sienne ; je ne voulus tenir que de moi la règle de mes mœurs et la conduite de ma pensée ; je m’indignai d’être vertueux par crainte et de croire par obéissance. L’orgueil et l’amour de la liberté m’avaient affranchi.

Les trois années qui suivirent furent douces…


Nous voilà évidemment un peu loin, en dépit de quelques vagues réminiscences, trop naturelles en un pareil sujet, de