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Il n’en fut, par hasard, — étant donné le caractère du maître, — pas autre chose ce matin-là. Mais on ne s’en contraignit pas davantage à l’oreille de son voisin ; chacun savait trop bien ce qu’un oui ou un non pouvaient valoir en l’occurrence.

L’affaire traîna pourtant encore un mois ou deux. Certaines difficultés avec Rome préoccupaient Victor-Amédée, qui voulait une lune de miel sans nuages ; elle se leva telle enfin le 12 août 1730. Le Roi avait alors soixante-quatre ans, et Mme de Saint-Sébastien quarante-cinq.

Carlin, qui ne se doutait de rien, et que son père, — toujours dans un intérêt dynastique, — avait envoyé prendre les eaux de Chiavenne, près de Turin, fut fort étonné, ce jour-là, de voir sa femme venir dîner avec lui au Valentin. Il était neuf heures du matin quand la princesse, sagement séparée de son mari depuis huit jours, avait reçu cette permission inattendue ; en même temps, lui était arrivé un billet de sa dame d’atours qui, sous prétexte d’une folle migraine, s’excusait de ne pas la suivre ce matin-là.

Victor-Amédée avait donc dîné seul, à midi, comme à son ordinaire ; puis, l’ordre donné d’atteler pour trois heures, il avait passé dans son cabinet. A peine les verrous tirés, la comtesse arrivait par le petit escalier suivie de ses deux témoins, qui n’étaient autres que Lanfranchi, le secrétaire, et Barbier, le valet de chambre du Roi. Un chapelain, dont je n’ai pu retrouver le nom, eut bientôt fait de bénir le mariage ; après quoi, officiant, témoins et mariée regrimpaient le petit escalier, tandis que, le plus tranquillement du monde, Victor-Amédée rouvrait lui-même, à deux battans, les portes de son cabinet.

Quelques instans après, il partait en voiture avec le marquis d’Ogliani, son chambellan, et se faisait conduire au Valentin. Jamais, au dire du marquis, son maître n’avait été de si belle humeur ; le temps était beau, la route charmante, et le Valentin ragaillardissait pour Victor-Amédée d’aimables souvenirs.

Depuis que le duc Emmanuel-Philibert avait acheté le « Palazzino, » chose assez curieuse, à l’arrière-grand-oncle du président de Brosses, ce charmant pavillon, à une demi-lieue à peine de Turin, avec son beau jardin, ses eaux merveilleuses, était devenu une des résidences favorites des princes Savoyards. C’était au Valentin que Madame Jeanne-Baptiste tenait sa cour