Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 43.djvu/593

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ses fautes. Nous reconnaissons ici un des plus beaux traits peut-être du roman anglais. Comment ne pas penser à l’uteur d’Adam Bede et de Romola[1], devant ce sentiment profond de ce qu’elle appelait l’effrayante vitalité de nos mauvaises actions ? « Nos actions sont comme nos propres enfans, elles vivent et agissent en dehors de notre propre volonté. Bien plus, des enfans peuvent cesser d’exister, mais jamais nos actions : elles ont une vie indestructible, soit au dedans, soit au dehors de la conscience que nous en avons[2]. » L’enfer des conséquences est le véritable enfer, et s’il est plus conforme à la réalité des faits qu’à l’idéal de nos aspirations, il n’en émeut que plus fortement notre sensibilité et offre ainsi un admirable thème aux romanciers.

Comment donc faut-il vivre et que doit faire l’homme pour rester dans cette voie droite hors de laquelle l’esprit comique chasse comme sur ses terres, cette voie dont nous ne pouvons sortir sans nous exposer aux souffrances et aux désastres ? L’homme n’est ni ange ni bête. M. Meredith distingue trois élémens dans sa nature : le corps, l’intelligence, l’âme, blood, brain, spirit. Il faut les développer ensemble, laisser à chacun sa place et son rôle, nourrir la vigueur animale, la subordonner à la pensée, s’élever ainsi jusqu’à cette vie supérieure, cette vie forte, ardente et noble, où la passion est guidée par la raison, la pensée réchauffée par l’émotion. C’est l’épanouissement de l’être humain dans l’équilibre parfait de ses puissances et la plénitude de son humanité. M. Meredith a intitulé son dernier volume de vers the Reading of Life ; nous dirions assez bien : le Sens de la Vie. Il comprend la vie de manière à en goûter toutes les douceurs, toutes les délicatesses, toutes les sublimités et aussi les plus humbles joies, qu’il ennoblit en les pénétrant de sentiment et de pensée, les plus matérielles, qu’il épure et spiritualise en allant à elles avec son âme tout entière. « Les vrais poètes et les vraies femmes, dit-il, ne partagent pas ce dédain de la matière qu’affecte le monde : ils ont l’intuition innée de ce qu’il y a de divin en elle[3]. »

  1. Adam Bede parut la même année que Richard Feverel, 1859 ; Thackeray donnait The Virginians et Dickens The Tale of Two Cistes. Ces concordances ne sont pas inutiles si l’on veut replacer l’œuvre de M. Meredith dans l’ensemble du roman anglais contemporain.
  2. George Eliot, Romola, chap. XVI.
  3. Diana of the Crossways (fin).