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compte les rancunes de la Cour et des Jésuites contre le parti janséniste. C’est lui maintenant qui conduisait l’armée des « constitutionnaires » et des « acceptans » de la bulle Unigenitus. On sait comment il suscita l’affaire Soanen, comment il prétendit avoir sauvé l’Église en brutalisant et séquestrant un doux entêté qui allait mourir. On connaît moins, je crois, dans ce concile d’Embrun, qui devenait une « affaire de famille, » le travail souterrain, mais efficace de la sœur. À elle aussi, il fallait un masque de gravité pour son nouveau rôle de matrone : dans les couloirs d’un concile elle se referait une vertu. Ce fut une vraie croisade, qu’elle prêcha partout avec la même conviction remuante et bruyante qu’autrefois le « Système. » Tout ce qui était sous sa main dut marcher pour la cause sainte, depuis son neveu, le chevalier de Tencin, dont elle fit son secrétaire, jusqu’à son professeur de philosophie, le P. Manniquet de Montfleury, jadis opposant de la Bulle, mais qui, mieux instruit par son ancienne élève, mit tout son « esprit » et toute sa « littérature » au service du parti constitutionnaire. Elle obtint encore de plus étonnantes conversions : son médecin Astruc dut pour elle apprendre la théologie, et le vieil Houdar de La Motte la rapprendre.

Car il en savait quelques mots. Les chansonniers l’appelaient « moine défroqué, » parce qu’après son premier échec au théâtre il s’était enfermé quelques semaines à la Trappe et en était sorti sur le conseil de Rancé. Il avait du goût pour les choses religieuses et en parlait congrument. Cinq ans auparavant, on se le rappelle, il avait préparé pour le frère de son amie des « complimens » et des « pensées » diplomatiques. Il devait cette fois, par son éloquence et son érudition, masquer la pauvreté oratoire et théologique de ce Père de l’Église improvisé. Le Concile s’ouvrit officiellement à Embrun et officieusement à Paris dans le salon de Mme de Tencin. C’est là que la pieuse comédie eut sa répétition générale, et La Motte y donna lecture de tous les discours qui seraient prononcés deux mois plus tard dans une assemblée plus sainte, par des bouches plus autorisées. Quand il mourut, en 1731, Mme de Tencin, prudente, s’en fut retirer chez lui tous ces brouillons compromettans, pour que le scandale ne devînt pas public. Le bon Houdar expia du reste son dévouement à la cause : les épigrammes jansénistes lui furent cruelles ; on rappela méchamment que toutes ces lumières partaient d’un aveugle ; et Voltaire, en son Jansénius, « poème héroïque, »