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édifiant et très austère, qu’il jugea plus sage de garder inédit[1] ? appelait les vengeances de l’Esprit-Saint sur ce « mercenaire auteur, »


Qui, doublement aveugle et prophète menteur,
A la fausse doctrine, à la noire cabale
Prête sa voix servile et sa plume vénale.


Mme de Tencin payait elle-même de sa personne. Sa maison de la rue Saint-Honoré était devenue le bureau d’expédition pour les affaires du Concile-. C’est de là que partaient les pamphlets agressifs et médisans qui réveillaient la curiosité du public. C’est elle qui les faisait imprimer à ses frais et en approvisionnait les colporteurs. Il est probable qu’elle en rédigeait elle-même quelques-uns ; et j’imagine que l’Avocat de province ou le Savetier Neutelet, — celui qu’on appelait « le savetier de la Constitution, » — n’écrivaient peut-être en leurs factums que ce qu’elle leur avait soufflé ; factums d’ailleurs bien médiocres, dont l’esprit, s’ils en eurent, est aujourd’hui évaporé, mais qui manifestaient la vitalité combative du parti. C’est elle encore qui envoyait toutes les semaines aux gazettes de Hollande le bulletin tendancieux des travaux du Concile, pour riposter aux accusations de la feuille janséniste, les Nouvelles ecclésiastiques. Il faut lire la Gazette d’Amsterdam de septembre et octobre 1727 : on y apprendra le « zèle de M. d’Embrun pour la foi, » ses « égards » et « attentions » pour l’ingrat Soanen, ses réponses « victorieuses » à toutes les calomnies, l’éloquence de ses discours, la haute bienveillance de Sa Sainteté pour lui. Ainsi Mme de Tencin débutait dans la littérature par le journalisme. Plus que personne alors elle sentait et savait utiliser la puissance de la presse.

Il sembla tout d’abord que tant et de si beau zèle ne dût point trouver sa récompense. Les parlementaires, toujours jansénisans, avaient protesté contre les décisions du Concile. La réponse de Tencin fut si injurieuse que Fleury lui-même crut que l’honneur de ces « Messieurs » exigeait une victime. Au reste, il ne lui déplaisait point de satisfaire ainsi à l’opinion publique, que tout le passé de Tencin, remué à propos du Concile, avait divertie ou écœurée. On vit donc, — chose inouïe, — un prélat constitutionnaire exilé dans son diocèse pour avoir trop bien

  1. J’en dois la communication à l’obligeance de M. A. Gazier.