Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 43.djvu/664

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la vie, tout entiers à leur métier, un peu bourrus, mais bienfaisans et qu’on aborde sans crainte.

Saint Crépin et saint Crépinien, dans un bas-relief de l’église Saint-Pantaléon, à Troyes, sont deux jeunes compagnons cordonniers travaillant dans leur boutique. L’un découpe paisiblement le cuir, et l’autre coud des semelles, quand deux soudards barbus et moustachus, vêtus de buffle tailladé, pareils à des mercenaires suisses, viennent leur mettre la main sur l’épaule. Voilà des saints avec lesquels les cordonniers de Troyes se sentaient à l’aise. On se montrait avec attendrissement l’escabeau, la hachette, le baquet, et le petit chien sous l’établi.

Jamais les artistes ne furent plus familiers avec les saints qu’au temps de Louis XII et de François Ier. Ils voudraient bien rajeunir un peu le costume des apôtres, mais ils n’osent. Le sculpteur de Chantelle brode pourtant le bord de la tunique de saint Pierre[1], et Leprince, dans un admirable vitrail de la cathédrale de Beauvais, donne à saint Paul la grande épée à deux mains de la bataille de Marignan.

On prenait plus de liberté avec les évangélistes. Dans les Heures d’Anne de Bretagne, Jean Bourdichon nous présente saint Marc sous les espèces d’un vieux notaire, qui semble fort à l’aise. Assis dans un riche cabinet, vêtu d’une bonne robe fourrée d’hermine, coiffé d’une calotte, il se prépare à rédiger quelque inventaire.

Les personnages un peu secondaires de l’histoire évangélique abandonnent les uns après les autres la tunique traditionnelle. Dans les Heures de l’Arsenal[2], Jean Bourdichon conçoit saint Joseph emmenant en Égypte la Vierge et l’enfant, comme un compagnon du tour de France. Il a une calotte sur la tête, un bissac sur l’épaule, un grand bâton à la main. Mais rien n’égale en hardiesse la statue de saint Joseph qui se voit aujourd’hui dans l’église Notre-Dame, à Verneuil. C’est l’image fidèle d’un jeune ouvrier charpentier du temps de Louis XII. Leste, court vêtu, une rose au bonnet, le sac à outils à la ceinture, il porte l’insigne du métier, la grande hache. Personne, en voyant ce jeune compagnon, ne s’aviserait de penser à saint Joseph, s’il n’avait à la main le sceptre fleuri de la légende, et le petit

  1. Au Louvre.
  2. Arsenal, manuscrit n° 417. J’ai montré, dans la Gazette des Beaux-Arts (décembre 1904), qu’il était de Bourdichon.