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enfant à ses pieds[1]. Faut-il rappeler encore que sainte Anne devient une grave matrone qui a guimpe et cornette, et sainte Elisabeth, la cousine de la Vierge, une jeune bourgeoise qui porte son trousseau de clefs à la ceinture[2] ?

Les peintres, dont la langue est plus riche que celle des sculpteurs, ont de charmantes impertinences. Fouquet, Bourdichon voudraient nous faire croire que tous les saints du calendrier ont vécu en Touraine. Au dire de Fouquet, sainte Anne habitait, avec ses filles, dans un jardin aux palissades de roses, d’où l’on découvrait les clochers de Tours[3]. C’est sur le quai de Chinon que saint Martin donna au pauvre la moitié de son manteau[4]. Suivant Bourdichon, ce n’est pas en Égypte que saint Joseph emmena l’enfant, mais dans la jolie vallée de l’Indre que dominent d’antiques manoirs.

Mais ce qu’il y a de plus charmant, c’est que tous ces saints qui ont l’air de vivre en France, et qui sont déjà tout Français par le costume, le sont encore par la physionomie. Les saintes surtout. Il n’en est aucune, je pense, à qui les Italiens auraient consenti à reconnaître de la beauté. Quoi ! ces petites paysannes de la Touraine, du Bourbonnais, au visage rond, au nez un peu retroussé prétendraient au grand art ! Elles n’y prétendaient guère, et c’est pour cela qu’elles nous charment tant aujourd’hui. Une des plus jolies est la sainte Madeleine de l’église Saint-Pierre à Montluçon. C’est une toute jeune fille à la taille fine, presque encore une enfant. Demain, ce gracieux visage rond s’alourdira, cette fine taille épaissira, mais, dans cette minute heureuse, la jeune sainte n’est que grâce virginale. La beauté italienne prétend de bonne heure à être durable comme une essence, comme une idée. Nos saintes françaises, pareilles à nos jeunes paysannes, ne fleurissent qu’un instant. Leur charme n’en est que plus touchant. Ah ! nous ne sommes pas de la race des héros et des demi-dieux ! En France, la beauté n’a jamais été autre chose qu’expression. Elle n’est donc jamais égale à elle-même :


Tousjours sa beauté renouvelle,
  1. Cette charmante statue vient de l’église Saint-Laurent de Verneuil et appartenait à la corporation des charpentiers. Voir abbé Dubois, l’Église Notre-Dame de Verneuil, Rennes, 1894, p. 87.
  2. Visitation de l’église Saint-Jean, à Troyes.
  3. Miniature des Heures d’Etienne Chevalier conservée à la Bibliothèque nationale.
  4. Miniature des Heures d’Etienne Chevalier, à Chantilly.