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cet ami invisible. Tout ce que nous ferons pour lui ici-bas nous sera compté dans le ciel. C’est pourquoi, nobles, bourgeois, paysans, tous n’ont qu’un désir : mettre dans l’église de la paroisse une belle image de leur patron qui restera là jusqu’au jugement.

Ce sentiment, puissant comme un instinct, nous a valu d’innombrables verrières. Lorsque, dans les églises de la Champagne, nous rencontrons aux fenêtres la légende d’un saint, une inscription nous avertit presque toujours qu’un marchand, un pelletier, l’hôtelier de « l’Écu de France, » ou même un simple laboureur ont donné l’histoire de ce saint parce qu’ils portent son nom. Car le donateur n’a pas coutume de s’oublier. Il est bon, pense-t-il, que les saints, qui reçoivent tant d’hommages, puissent se rappeler commodément les noms de leurs serviteurs. N’est-il pas doux aussi de se dire que notre nom, inscrit sous les pieds de saint Martin ou de saint Nicolas, traversera les siècles avec eux ? Tout cela n’était peut-être pas très chrétien, mais sortait du fond de la nature humaine. Je ne connais qu’une inscription qui ait le véritable accent chrétien. Elle est au bas d’un vitrail de Montangon (Aube), et elle est assez belle pour être transcrite ici : « En 1530, gens de bien incogneus ont faict mettre ceste verrière ; ne leur chault d’y nommer les noms, mais Dieu les scait. »

Non seulement le donateur inscrit son nom, mais souvent aussi il se fait représenter pieusement agenouillé aux pieds de son patron.

A partir du XVe siècle, le groupe du donateur et de son patron se rencontre partout. La silhouette familière de l’homme agenouillé et du saint debout se découpe dans le triptyque flamand, dans le vitrail français, dans le tableau italien. Peu de sentimens furent donc plus féconds que cette foi dans les prières du saint dont chaque chrétien a reçu le nom au baptême.

Quelques anomalies méritent d’être signalées. Il arrive parfois, en effet, que le donateur est agenouillé aux pieds d’un saint qui n’est pas son patron. Mais il y a toujours une raison à ces bizarreries apparentes, et il est parfois facile de la découvrir. En voyant, dans un vitrail de l’église de Blainville, Jean d’Estouteville agenouillé auprès de saint Michel, on est d’abord surpris[1]. Mais, dès qu’on a remarqué que le noble personnage

  1. Le vitrail de Blainville n’existe plus, il a été reproduit par Gaignières Estampes Pe, 8 f° 4.