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dit déjà Charles d’Orléans, parlant de la femme qu’il aime. Telles sont nos jeunes saintes. Il y a à Champoly, dans le Forez, la plus charmante statue de sainte Catherine. Elle est bien loin d’être jolie : nez retroussé, lèvres un peu épaisses, menton un peu fort, mais il y a sur son front et sur tout son visage, tant de jeunesse, d’innocence et de droiture qu’elle est, en cet instant, bien voisine de la vraie beauté.

Il reste encore dans nos églises beaucoup de sainte Barbe, ou de sainte Catherine qui ont ce charme d’innocence.

Tout ce petit monde de saintes et de saints avait pour les hommes de ces temps un charme infini. Ainsi faits ils étaient moins respectés qu’aimés. Mais peut-être jamais ne furent-ils plus persuasifs. « Ce Saint Yves que voilà, avec sa toque, sa robe d’avocat et son dossier à la main, ce fut pourtant un homme comme moi, se disait l’homme de loi, le procureur ; il est donc vrai qu’il est possible, dans notre métier, d’être quelquefois désintéressé. » Le cordonnier écoutait volontiers les conseils qu’on lui donnait au nom d’un saint qui portait le même tablier que lui.

Le charme fut rompu le jour où les Italiens nous enseignèrent le grand style. Les saints dirent adieu à l’homme et remontèrent dans le ciel. Les héros, les philosophes antiques qui prétendaient représenter saint Pierre ou saint Jacques n’avaient plus rien à dire à personne. D’où venaient ces hommes avec ce profil droit, ces grands manteaux, cet air dominateur ? On ne savait, et on se souciait sans doute fort peu de le savoir. Il est vrai qu’ils pouvaient plaire au savant. L’humaniste qui se promenait à Saint-Étienne de Troyes avait la satisfaction de remarquer que le groupe de la rencontre de sainte Anne et de saint Joachim, tout récemment sculpté, aurait pu représenter excellemment la dernière entrevue de Porcia et de Brutus.


III

Nul sentiment n’a été plus fécond que ce culte passionné des saints. Nous lui devons la meilleure partie des œuvres d’art de la fin du moyen âge.

Le saint auquel on s’attache d’abord est celui dont le nom vous fut donné au baptême. Un lien mystérieux unit le chrétien à son protecteur céleste. Il veille sur nous pendant cette vie, et il sera notre avocat au grand jour. Rien n’est plus sage que d’honorer