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Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 43.djvu/701

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âme sensible et tendre sut vite faire un mariage d’amour. Il faut reconnaître au reste que c’était bien le mari qui lui convenait. Comme elle, Bryenne était instruit ; comme elle, il aimait les lettres : « il avait lu tous les livres, il était versé dans toutes les sciences ; » comme elle enfin, il se plaisait à écrire, et il écrivait bien. Puis, c’était un bel homme, d’une grâce plus que royale, « d’une prestance presque divine, » un magnifique soldat, un diplomate habile, un orateur éloquent. Anne Comnène adora « son César, » et ne se consola jamais de sa perte. Quand, en 1136, Bryenne rentra à Constantinople très gravement malade, elle le soigna avec un dévouement admirable ; quand il mourut peu après, elle recueillit comme un pieux héritage le soin de continuer l’histoire que n’avait pu achever sa main défaillante ; et comme elle était, en vieillissant, devenue quelque peu plaintive et gémissante, elle ne put désormais rencontrer sous sa plume le nom de ce mari adoré et perdu sans l’arroser d’abondantes larmes. La mort de Bryenne fut, à l’en croire, le grand malheur de sa vie, la plaie toujours saignante qui lentement l’achemina à la tombe. Il est véritable en effet que, tant que son mari vécut, l’ambitieuse princesse mit tout en œuvre pour le pousser, et elle avec lui, aux suprêmes honneurs, et qu’en le perdant, elle perdit la dernière chance qui lui restât de prendre sa revanche sur la destinée. Mais si l’âpreté de ses regrets était faite pour une part de l’amertume de ses déceptions, ses larmes étaient pourtant sincères. Cette princesse cultivait visiblement en son cœur une petite fleur de sentimentale tendresse. Elle la conserva intacte jusque dans les aridités de la politique. Et ce n’est point un trait indifférent de sa physionomie, que cette femme savante, cette ambitieuse ait été aussi une femme honnête et qui aima bien son mari.

Si nous essayons de coordonner les détails épars que nous savons d’elle et de nous la représenter telle qu’elle fut véritablement, voici, à peu près, ce qu’on entrevoit de cette princesse byzantine. Au physique, elle ressemblait à son père Alexis, et sans doute elle était comme lui de taille moyenne, très brune, avec de beaux yeux mobiles, étincelans et héroïques. Au moral, elle était remarquablement intelligente, et elle avait la conscience et l’orgueil de sa supériorité intellectuelle ; elle était admirablement instruite, elle aimait les livres, les savans ; elle avait le goût de toutes les choses de l’esprit, et quand elle se mêla d’écrire,